l est bon de se retrouver seul avec mon sombre instinct. Seul, sans avoir à s'inquiéter de l'état d'Emma. Comment vont ses songes ? Sont-ils protégés par un soldat à l'aura dorée ? Sont-ils sains et saufs, loin de l'emprise cruelle et vorace d'un Cauchemar ? Cette obsession m'inquiète autant qu'elle me ronge. Je ne devrais pas essayer de réparer les faiblesses de mon adversaire ; je devrais plutôt en profiter, appuyer sur la plaie et l'empêcher de cicatriser. Alors qu'est-ce qui m'empêche de faire sombrer Emma Rosebury ? De la connerie pure et dure.

Ce soir la Rêveuse n'a plus sa place dans mon esprit. L'obscure créature nocturne en moi est affamée. La faim a pris le dessus sur le reste. Un sombre instinct m'a guidé jusqu'aux portes d'un inconscient baigné de joie et de lumière. Je ne connais rien de ma victime. Mais déjà mes talents cauchemardesques partent fouiller sans scrupule dans le livre de ses souvenirs. Je cherche quelque chose, une once d'inspiration, une chose suffisamment alléchante pour éveiller un doux effluve de peur. Sans égard pour le songe du Rêveur, je chasse l'ambiance légère et apaisée pour le plonger dans un noir aussi épais qu'oppressant. Ma cible de ce soir s'appelle Josh. Une vingtaine d'années, sans avenir professionnel plus incertain que celui de musicien amateur. Sa vie m'apparaît ennuyeuse à mourir, le dernier élément marquant de son existence étant sa rupture ridicule avec son ex-copine.

Le Rêveur n'a rien d'attrayant. Pourtant la faim est tenace dans le creux de mon estomac. Je n'ai même pas l'idée d'aller chercher un inconscient plus intéressant. Le Cauchemar en moi ne partira pas d'ici avant de s'être repu des songes dénués de couleurs de ce garçon.

Mon attention se focalise alors sur lui. Misérable corps perdu au cœur d'une obscurité glaçante. Josh avance de quelques pas dans le noir. Hélas, il n'y a pas la moindre lueur d'espoir aux alentours. Rien que le néant. Un sourire mauvais étire mes lèvres. Je m'approche dans l'ombre, resserrant l'étau de mes griffes d'acier autour de ma victime. Il ne peut plus s'échapper. Sous la force de ma volonté, une brise légère s'élève dans le dos du Rêveur. Déjà, celui-ci se retourne, une frénésie nouvelle et inquiète imprimée au fond des yeux. Des murmures incompréhensibles s'élèvent autour de lui. Tantôt proches, tantôt éloignés, ces mots sortis de nulle part glissent peu à peu autour de Josh, pour mieux provoquer chez lui une angoisse naissante.

Les cauchemars psychologiques sont mes préférés.

Je pousse le vice. Désormais, ce sont des doigts faits d'ombre et de glace qui effleurent la nuque du garçon. Sous mon regard cruel et affamé, je l'observe faire volte face dans l'obscurité. Je sens son cœur bondir sous sa poitrine. Son souffle s'accélère. L'odeur délicieuse de ses craintes se disperse dans l'air. Jamais je ne me révèle à lui, et pourtant, il est si simple de tirer les ficelles de ce rêve.

Le Rêveur semble presque à point. Mon instinct ronronne déjà au fond de moi, savourant d'avance la saveur de ce songe détruit. Mais soudain quelque chose vient troubler la quiétude de mon travail. La substance du rêve s'ébroue. Quelqu'un vient de pénétrer les lieux. La présence de l'autre Cauchemar me saute au nez sans attendre. Une colère sourde inonde mes muscles et voile mes yeux. Les Cauchemars ne sont pas partageurs. Mon emprise sur Josh disparaît dans un souffle libérateur. Sans un bruit, je me volatilise.

L'intrus est jeune, mais pas assez pour s'accaparer ma clémence. Il ne me faut qu'une poignée de secondes pour le localiser, et lui bloquer la route. J'apparais subitement face à l'adolescent empreint de bien trop d'audace. Je pose sur lui un regard acéré, prêt à lui sauter à la gorge dans un élan meurtrier.

- La place est déjà prise, grondé-je entre mes dents serrées. Fou le camp.