Néo(zel) Kaleb Hansen

Une petite citation qui déchire ici

FICHE PAR ATHENA.

Derrière L'écran

C'est mon histoire ...

Une petite citation qui déchire ici

Je me souviens du visage de ma mère. De ses grands yeux mordorés et pincés de rides minuscules. Je me souviens, je crois, de cette grande maison où nous avons grandis. De ses pierres blanches, de sa haute stature élégante et de l’immense portail en fer forgé qui nous séparait du reste du monde. Je me souviens aussi des longues absences de mon père. De son travail très prenant, de son portefeuille très conséquent, mais de son attention toute particulière à contrôler la bonne évolution de ses enfants. Avec un peu de recul, mes parents n’étaient pas foncièrement mauvais dans leur rôle. Simplement trop exigeants. Avec trop d’ambition. Et, en ce qui me concerne, peut-être juste un peu malchanceux.

Je me souviens n’avoir toujours été qu’un sale petit con. Ce genre de casse-cou qui n’a peur de rien, qui s’amuse plutôt à jouer avec le feu, et qui a réponse à tout. Un salopard que rien n’atteint. Ni la déception de son entourage, ni même la promesse d’un avenir noir. Je me souviens encore de cette adolescence compliquée. De cette frustration d’être l’enfant du milieu, celui qu’on oublie peut-être un peu. J’étais ce gosse que les études ennuient, ce gosse qui cherchait à provoquer, à expérimenter. C’était probablement pour attirer l’attention. Pour pallier ces fameux problèmes de gosse de riches. Je me souviens de ma première rencontre avec une pilule d’extasie. Des effets que ça m’a procuré. De ce soulagement, cette liberté. Puis ce besoin de recommencer. Ce besoin de retrouver cette plénitude, cette délivrance.

C’était stupide, hein ? Ben ouais, que c’était stupide. C’est aussi ce que mes figures d’autorité, pour le peu d’influence qu’elles détenaient, m’ont balancé lorsque ça a été découvert. Ça aussi, je m’en souviens. La découverte du pot-aux-roses, après plusieurs prétendues années d’étude en école de commerce. Mes notes catastrophiques, mes appréciations minables. Mon diplôme bâclé, sacrifié. Et pourquoi ? Pourquoi Néozel, qu’il répétait, mon père, dans son petit costume bien repassé. Pour quelques soirées. Un amusement éphémère. Trainer avec les potes, s’envoyer en l’air. Se payer un peu de coke. C’était idiot, mais j’avais que ça en tête. Tout le fric que ma famille a pu m’envoyer y est passé. Sacré gosse de riches.

Et puis, je me souviens de ce jour où il a fallu apprendre par téléphone que mon petit frère était décédé. Parti. Envolé. Fauché par un camion sur un passage piéton. Je me souviens des yeux de ma mère, encore. Ses beaux yeux aux teintes dorées. En larmes. Déchirés. Quelque chose s’est éteint pour toujours, dans ses prunelles éplorées. Ça a été le dur retour à la réalité. La prise de conscience. La rencontre violente et asphyxiante avec la vie.

Et cette vie, cruelle, sans scrupule, je l’ai juste fui. Ça aussi, je ne l’ai pas encore tout à fait oublié. Mon échappée loin de cette maison endeuillée, loin du chagrin des miens. Tout ça pour mieux m’enfoncer dans un besoin viscéral et destructeur, qui peu à peu s’est mis à me ronger de l’intérieur. Un appétit vorace, indispensable, et terriblement délétère. Les substances que je m’injectais ne suffisait plus. Il fallait plus. Plus fort. Plus puissant. Les drogues dures sont devenues mon oxygène. Et doucement mais sûrement, plus je m’isolais, plus j’oubliais qui j’étais, et plus la meth’ m’enserrait de son étreinte funeste.

Je me souviens de toi aussi. Matt. De ton nom, qui me brûle de l’intérieur, aujourd’hui encore. Ta putain de dépendance à cette saloperie d’héroïne. Ta putain de dépendance, si semblable à la mienne. Je me souviens de toutes ces soirées à se défoncer. A oublier la mascarade exaspérante de nos existences. A s’arracher nos vêtements, à s’user l’un contre l’autre. A se détruire. Trop vite. Beaucoup trop vite. Je me souviens de cette dose de trop qui a fait miroiter tes yeux. Puis de cette saloperie de vie qui les a quittés. Pas à pas. Mesquine, impitoyable. Je me souviens avoir hurlé. T’avoir supplié. Je me souviens m’être brisé la voix à t’appeler, pour que tu restes. Mais t’as rien écouté. Toi aussi tu t’es évaporé.

Ça aussi, ça a été un nouveau tournant beaucoup trop cru, beaucoup trop dur à digérer. J’ai jamais eu les épaules pour survivre dans ce fichu monde. J’ai toujours été un putain de lâche, une raclure sans avenir, sans rêve. J’ai tout balancé. J’ai voulu tout enterrer, tout annihiler, une fois de plus. Ce monde de camés, je me souviens avoir voulu lui tourner le dos. Je me souviens être rentré parmi les miens. En morceaux. Je me souviens avoir voulu me reconstruire. Reprendre les choses là où je les avais abandonnées.

Mais là aussi, j’ai foiré. Trouver un job, s’échiner à bosser, faire mine d’avoir retrouvé un semblant de lucidité … Tout ça, c’était voué à l’échec par avance. J’ai essayé pourtant. De toutes mes misérables forces. Ma famille n’a jamais cessé d’y croire, ou du moins d’avoir envie d’y croire. Ils auraient eu toutes les raisons du monde de me laisser me noyer pourtant. Et ils l’auraient probablement fait, s’ils n’avaient pas formé un foyer aux tendances religieuses, brisé mais désireux de retrouver ce fils perdu dans l’obscurité d’un enfer terrestre.

Je me souviens que ça m’a pris violemment. D’un coup. Sans prévenir. Je me souviens de cette soirée et du manque insidieux. L’appel de la meth’. La pulsation de l’alcool dans mes veines. Du visage de mon amant, de mon fantôme, qui dansait devant mes yeux. La nuit, la pluie. Cette tristesse étouffante, ce désespoir oppressant. Et enfin ce coup de volant. Ma caisse qui quitte la route. L’arbre qui stoppe brutalement ma course.

Maintenant … Maintenant c’est le noir. Une fois encore, mon regard parcourt le Monde des Songes. Glisse sur ces multitudes de Rêves. Ces choses, si précieuses, que j’ai toujours été incapable de créer. Depuis combien de temps suis-je ici ? Coincé dans cet univers ? Moi qui ai toujours cherché à fuir la réalité, aujourd’hui elle ne veut plus de moi. Et je ne sais plus comment la rejoindre. Mon corps est plongé dans un profond coma. Ça, je le sais. Mon esprit, lui, est condamné à errer. Le temps s’effiloche, et moi avec. A présent que j’y repense, j’ai oublié la forme particulière des plis qui bordent les yeux de ma mère. J’ai oublié l’odeur de la maison familiale. J’ai oublié le contact du vent sur ma peau, la saveur d’une bouchée de nourriture contre mon palais, et même la courbe exacte des lèvres de Matt lorsqu’il souriait. Je suis perdu dans l’inconscience, si bien que, maintenant que je me concentre, je ne me souviens plus si bien de ma réalité passée. Je suis en train d’oublier. Et à force, sourde conviction, je vais finir par m’effacer.

Alors, dis-moi. Dis-moi comment faire, pour me réveiller ?