C'est mon histoire ...
LA MIRACULÉE
Voilà comment les journalistes te surnommaient ...
T'es née dans une petite maison à Manchester. Attendue et choyée, tu n'as certes pas les parents les plus riches, mais leur amour compense largement les fins de mois difficiles. T'as grandi dans un foyer sain, stable. Pour dire, la seule chose qui te dérange en tant que fillette, c'est ton prénom. Maddison. Tu le détestes. C'est moche et tes copines se moquent. Alors tu décides de te renommer Mad'. Tes parents trouvent ton initiative drôle et pour t'embêter, ils hurlent devant l'école "Maddie". C'est pire ! Tu n'es pas contente. Tu boudes toute la soirée. Voilà la seule problématique que tu rencontreras lors de ton enfance.
Jusqu'à tes douze ans où une sinistre nuit t'attends. Alors que tu découvres le monde des songes, un énorme bruit te fait ouvrir les yeux. Arrachée de ton sommeil, tu mets quelques secondes à comprendre ce qu'il se passe. L'explosion. L'odeur de brûlé. Les flammes qui ne mettent pas longtemps à venir lécher la porte de ta chambre. Tu te retrouves coincée, en boule dans ton lit. T'essayes, en vain, d'appeler tes parents. Pas de réponse, pas d'issue. Tu commences à suffoquer. L'air te manque. Poussée par une force invisible, tu te rues à ta fenêtre et tu sautes. Tu ne sens même pas cette douleur vive qui t'attrape par la jambe. Le reste, tu ne t'en souviens pas. Tu l'apprendras plus tard, en gros titre imprimé sur le journal du coin ... "
La miraculée "
L’ÉCLOPÉE
Voilà comment tu te voyais ...
Terrée dans l'Antre, tu ne comprends pas pourquoi tu n'arrives pas à te réveiller. Tes souvenirs sont flous mais douloureux. Ce n'est qu'après quelques jours que tes paupières lourdes s'affolent. Ton corps est anesthésié, tu ne ressens rien. La première chose que tu fais c'est d'appeler une nouvelle fois ton père et ta mère. Le son de ta voix t'échappe. Un homme se penche au dessus de toi, tu ne le connais pas. Sa blouse blanche te mets la puce à l'oreille mais ta peur prend l'ascendant. Tu vois ses lèvres bouger cependant, seul un sifflement strident te parvint aux tympans. Ils sont en très mauvais états et tu apprends que plus jamais tu entendras comme avant. Premier choc. Avant le second, bien plus terrible. Orpheline, tes parents n'ont pas survécu à la fuite de gaz ayant provoqué l'explosion. Ni même Bobby, ton chien.
Tu encaisses la nouvelle. T'as que douze ans, t'es pas censée vivre cela. T'es restée un long moment à l'hôpital pour ton bras cassé, tes implants auditifs, ta brûlure à la jambe ... Mais surtout pour ton suivi psychologique. Tu remarches, bien que difficilement, tu entends, bien que sommairement. Cela dit, ta joie a disparu, ton sourire également. Éclopée physiquement mais aussi psychiquement, tu sais que plus rien ne sera comme avant.
LA DROGUÉE
Voilà comment ta grand-mère t'appelait ...
Tu quittes Manchester pour la France, pays de naissance de ton père. A Marseille, pour être plus précis. Ta grand-mère a accepté de t'accueillir chez elle, encore effondrée par la perte de son fils. La vie là-bas n'est pas tout rose. Tu reprends ta scolarité à treize ans mais tu n'es plus la même. Tu commences à faire des conneries, banales d'abord, puis de plus en plus importantes. T'as dis adieu à la fillette heureuse que tu étais pour dire bonjour à l'adolescente que tu devenais. Très vite, tu touches à la cigarette et à l'alcool. A quatorze ans, tu découches pour allez en soirée avec des "amis". T'es pas consciente de tes actes, de tes mauvaises fréquentations. Tu papillonnes à droite et à gauche, t'obstinant à croire que cela va arranger les choses.
Puis à quinze ans, tu fais ta pire connerie. Tu goûtes à cette drogue dure qui deviendra ta meilleure amie : L'héroïne. T'en deviens vite accro. Elle te fait sentir bien. Te libères de tes pensées funestes le temps d'une dose. Seulement, ce petit moment de bonheur a un prix. Tu n'hésites donc pas à voler et même coucher pour en obtenir. Tu n'es plus que l'ombre de toi-même et ça, ta grand-mère s'en aperçoit. Trop tard, malheureusement. Elle essaye de te remettre sur le droit chemin mais tu fais la sourde oreille. Rien de plus simple pour toi d'ailleurs, t'enlèves juste tes appareils auditifs soigneusement cachés sous tes cheveux longs. Tu t'épargnes son laïus moralisateur qui n'a pour but que de te protéger. "
T'es qu'une droguée, ma petite fille" seront ses derniers mots que tu entendras car épuisée, elle te placera en institut psycho-thérapeutique.
LA DÉPRESSIVE
Voilà comment t'ont diagnostiqué les médecins ...
Tu vis ce placement comme une trahison. Tu hurles ton mécontentement, tu joues des poings contre ces "psychiatres" qui sont censés t'aider. Tu finis dès le premier jour en isolement. Tu décides de rester muette, de dresser un mur en béton armé entre eux et toi. La première semaine a été affreuse. Le lendemain déjà tu sens le manque monter en toi. Tu frissonnes. Tu sues. Tu souffres. T'as qu'une envie : de crever. Ces gens que tu as frappé te tiennent la main, t'épongent, t'encouragent. Sur l'instant, tu les hais. Les insultes fusent mais ils semblent hermétiques à ce genre de comportement. L'habitude, qu'ils disent. Alors tu t'accroches à eux. La douleur est trop grande pour la vivre seule. T'as jamais autant vomi défoncée que sobre. Pourtant, petit à petit, tu retrouves tes couleurs, ta fièvre disparaît ainsi que tes tremblements. Tout est une question de temps, d'après le médecin qui te suit. Tu refuses toujours de lui parler, pourtant lui, il continue à le faire.
Tout est une question de temps ...Les mois passent. Il y a eu un mieux puis de nouveau une rechute. La drogue n'en est pas la responsable cette fois-ci. C'est cette petite voix qui te murmure que sans ton amie injectable, jamais tu ne te sentiras bien. Tu tombes lentement dans la dépression. Tes poignets sont les esclaves de tes mutilations. Malgré le fait qu'ils te retirent tout objet pouvant te blesser, tu trouves toujours une solution pour te martyriser. Jusqu'au jour où t'en peux vraiment plus de cette vie, tu tentes d'en terminer avec elle. Et ce fut un échec.
Après cette tentative, le personnel soignant t'as dans le collimateur. T'es surveillée, nuit et jour. Ton traitement est revu, amélioré et surtout est plus fort que celui d'avant. T'es dans le coaltar. Tu passes tes journées à dormir, régnant plus souvent dans le monde des songes que dans la réalité. Cela te va, en soi. Ta condition de cauchemar n'aide en rien à ta guérison mais elle te permet de t'exprimer à travers le rêve des autres. Tu remontes doucement la pente. Ta voix se libère. Tu oses enfin te confier, maladroitement, à ton médecin. Tu retrouves un peu de ta sérénité dans ce lieu, t'y trouves en quelque sorte une grande famille. Une famille bancale, certes, mais à l'écoute. T'es dépressive, tu le sais, mais tu prends conscience que ce n'est qu'une petite partie de toi-même... Que l'autre partie attend sagement que tu la délivres de sa cage aux barreaux rouillés.
Maddison
Voilà comment tu décides de t'appeler à présent ...
Trois ans se sont écoulés. Tu as bientôt dix-neuf ans. Au regard de tes progrès, l'institut décide de te relâcher dans la nature. La séparation est compliquée. Toi qui les détestais, voilà que tu chiales dans leurs bras. Ils t'ont sauvé la vie. Ils t'ont accompagné dans ton deuil. Sans jamais te brusquer. T'as vécu des hauts et des bas mais aujourd'hui, tu te sens prête à prendre ton envol. Ton médecin t'as mis en garde : Rien ne sera facile. Tu es fragile, instable mais seule ta volonté de te reprendre en main pourra t'emmener loin. Et les cachetons, aussi un peu.
T'es retournée chez ta grand-mère mais ça n'a duré qu'un mois. La tentation de retomber dans tes vices étant bien trop forte. Puis tu as envie d'indépendance. Alors contre toute attente, tu lui demandes un dernier service qu'elle accepte à contre cœur : Un billet d'avion en aller simple pour Manchester. Te voir retourner là-bas l'inquiète mais elle t'accompagne tout de même à l'aéroport. Toi aussi tu l'es, inquiète. Armée seulement d'un sac de voyage rempli de fringues, tu ne sais pas du tout où tout cela va te mener. Officiellement, tu vas devenir fille au pair dans une famille, officieusement, tu vas dormir dans une cage d'escalier le temps de trouver un boulot. C'est risqué mais tu ne peux plus faire machine arrière maintenant que l'avion surplombe les nuages...
La Miraculée, l’Éclopée, la Droguée, la Dépressive ... Tant de pseudonymes pour oublier ta vraie identité. Tu retournes dans ta ville de naissance, après tant d'années de souffrance. Tu sais que tu ne t'aimes pas spécialement, que ton prénom aussi t'insupporte ... Mais pour eux, pour tes parents, pour leur rendre hommage : Tu te considères de nouveau comme Maddison.