Gardienne en herbe

Azenor & Néo

La faim me tenaille le ventre ce soir. Trop pour que je puisse me permettre de l’ignorer. J’ai abandonné Jack cette nuit, au moins le temps de me nourrir. C’est l’excuse parfaite pour le laisser respirer. Le laisse profiter de ses rêves sans que je ne vienne les polluer. J’avance avec flegme entre les songes. Parfois mes doigts s’amusent à en effleurer la surface, agitant les bulles dans une nuée de petites vagues affolées comme l’aurait fait une pierre lancée au beau milieu d’un lac. C’est fascinant de voir cette substance toute particulière réagir ainsi à mon contact. L’une d’elle s'éveille plus vivement que les autres à la caresse distraite de ma main. Mes pas s’arrêtent d’eux-mêmes. Piqué dans ma curiosité, je fais face au Rêve avec un nouvel intérêt. Il a l’air sensible celui-là. Monsieur le Rêveur aurait-il quelque chose à se reprocher ? La curiosité, plus qu’un besoin malsain de torturer une âme en peine, me pousse à pénétrer à l’intérieur. Le songe m’accueille, et aussitôt je me retrouve au milieu d’une gigantesque maison. Le luxe des lieux est la première chose que je remarque. Beau parquet, beau mobilier, bref, belle baraque. Ça renifle le fric à plein nez. Intrigué, mes jambes me guident lentement à travers la demeure tandis que mes talents cauchemardesques se déploient délicatement. Je frôle l’inconscient du Rêveur, m’insinuant à l’intérieur avec la dextérité d’un poison à retardement. Et si on faisait connaissance, toi et moi ? Je me retrouve quelque peu déçu en me plongeant dans sa personnalité. Gosse de riche, vieil ado destiné à reprendre l’empire paternel, ses simples scrupules se concentrent sur cette fille dont il n’est pas vraiment tombé amoureux. Cette fille qu’il pensait quitter d’ici peu, jusqu’à ce qu’elle lui annonce sa grossesse imprévue. Aïe, c’est problématique ça. Tu l’as dit à papa ? Qu’est-ce qu’il a dit ? Qu’il allait te déshériter ? Bien sûr que non, le môme n’a rien dit du tout. Néanmoins ça lui bouffe suffisamment l’esprit pour rendre ses songes plus fragiles. Plus appétissants.

Le parquet craque doucement sous mes pieds alors que je m’avance toujours plus profondément dans la maison familiale. Je n’ai toujours pas mis la main sur le Rêveur. Je sais qu’il est là, quelque part entre ces murs. Mais je ne suis pas pressé. Je prends mon temps, puisqu’après tout c’est bien la seule chose dont je ne manque pas depuis que je suis coincé dans le Monde des Songes. Mon attention glisse sur les murs, sur les œuvres d’art qui les recouvrent. C’est une foutue belle maison. Je comprends qu’il ait peur d’être foutu à la porte avec sa copine en cloque. Un sourire mesquin étire mes lèvres. Puis soudain, je me fige tout entier. Le Songe s’agite. Quelqu’un arrive. Il ne me faut qu’une poignée de secondes pour sentir une nouvelle présence se dessiner à proximité. Je me raidis. L’aura qui émane du visiteur est à l’opposé total de la mienne. Lumineuse et porteuse d’espoir. Un Gardien. Mes muscles se tendent. Une silhouette apparaît bientôt de l’autre côté du couloir que je suis en train de traverser. Grande, mince, féminine. Je soupire lourdement avant de lever les yeux au ciel.

- Génial. Manquait plus que ça.

Je ne sais pas exactement comment je vais m’en sortir cette fois. D’ordinaire je les fuis, ces satanés Gardiens. Me faire battre dans ma condition actuelle, alors que je suis incapable de me réveiller, est bien trop douloureux. Mais c’est différent cette fois. J’ai faim. J’ai besoin de me nourrir. J’ai besoin de ce Rêve. Et déjà, je sens mes sombres instincts s’éveiller. Le besoin de compétition, le besoin de protéger ce que j’estime me revenir de droit. Le Cauchemar prend le dessus. La Gardienne sera-t-elle à la hauteur pour contrer cet appétit vital ?