Gabriel & Will

Une clope et un canapé, que faut-il de plus ?

Baby, it's cold outside

William & Gabriel

Un œil rivé dans l'optique grossissant du microscope, le stylo tapant sur la paillasse la mesure d'une musique énervée crachée par les baffes de son ordinateur, Gabriel tentait de comprendre. Cela faisait plusieurs heures qu'il s'abîmait la rétine sur cette cellule dont le sens lui échappait. Les mutations n'existaient pas que dans les comics pour adolescents ... Non, elles se trouvaient partout autour de nous, en nous. Et c'était le rôle des scientifiques de se casser les dents dessus pour en percer le secret. Sa jambe commençait à trembler d'impatience. Une pause. Il avait besoin d'une putain de pause. Et d'un café, en perfusion de préférence. Il releva la tête, se massant la nuque endolorie par l'immobilité forcée et tourna sur son tabouret tout en fixant le plafond. Quelle heure était-il ?

Tard. La nuit était déjà tombée depuis un moment, l'hiver accélérant ce processus comme s'il voulait annihiler le soleil et mettre à l'honneur l'astre argenté pour les quelques semaines où il régnait en maître sur cette partie de l'hémisphère du globe. Le professeur s'étira longuement avant de se mettre debout et ranger ses affaires. Tout compte fait, il avait assez traîné dans le coin pour aujourd'hui. Il n'avait pas pour habitude de faire du rab, ce fut l'exception de la semaine, voire du mois. Lorsqu'il éteignit le PC, le calme plat s'abattit dans la pièce. S'il avait été superstitieux, ce silence omniprésent l'aurait rendu nerveux mais son côté cartésien lui rappela qu'il était vingt heures et que tout le monde devait être entrain de manger devant une émission abrutissante de type bêtisier de l'année. Les fêtes approchaient à grand pas. C'était d'ailleurs le sujet de conversation préférée de ses collègues. "T'as pensé aux cadeaux ?" "Mon sapin est fait !" "Merde, j'ai oublié de commander la dinde, ma femme va me tuer !" ... Tous étaient dans l'excitation du moment. Tous, sauf lui.

Pas de cadeaux. Pas de sapin. Encore moins de dinde. Juste un repas interminable en tête à tête avec ses parents se profilaient pour Gabriel. Un Noël terni par le coma de son frère. Il voyait déjà la scène se dérouler dans son esprit. Son père qui tente de sauver les apparences en arborant un pull ridicule et en faisant des blagues maladroites. Sa mère qui serre les mâchoires pour ne pas laisser la tristesse s'insinuer dans ses traits fatigués par ce combat qu'elle menait seule. Et lui, le cul entre deux chaises, qui jongle entre l'euphorie exagérée de l'un et la détresse de l'autre. Il avait hâte. Hâte que cela se termine. Joyeux Noël et surtout, bonne année !

D'un geste de la tête, il mit toutes ses pensées de côté et sortit du laboratoire en prenant soin de bien fermer la porte derrière lui. Les couloirs étaient déserts, sombres. Cette immense allée lui fit écho au monde des songes et un sentiment de malaise s'empara de lui, sans qu'il ne puisse se raisonner. Tu deviens parano, mon pauvre Gabriel, se disait-il pour faire cesser cette comparaison débile. Depuis qu'il avait décidé de ne plus jamais y mettre un pied, ses nuits étaient perturbées. Car il savait ce qu'il se tramait là-bas. Il savait qu'il n'était pas à l'abri de se faire bouffer une fois partit rejoindre Morphée. Cela dit, il n'allait pas s'arrêter de vivre à cause d'un ou deux cauchemars. Alors, pour se donner bonne conscience, il se pinça le bras. La grimace qui suivit ce geste le rassura : Il était bel et bien réveillé et ne s'était pas endormi sur sa paillasse.

Gabriel venait d'atteindre la sortie et poussa la porte avant de rester coi devant le spectacle qui s'offrait à lui. Manquait plus que ça. Il lâcha la poignée, dépité, collant son front contre la vitre pour observer l'extérieur. Une bonne trentaine de centimètre de poudreuse venait de tomber, bloquant l'accès au parking et surtout l'espoir de rentrer au chaud. Le vent fouettait les arbres avec puissance, faisant virevolter les flocons dans tous les sens. Une tempête de neige faisait rage dehors et lui, il se retrouvait comme un glandu, enfermé sur son lieu de travail. Joie. Après s'être assuré avec amertume qu'il n'y avait pas d'autre option possible, il fit demi-tour, pestant contre les météorologues qui ne semblaient pas l'avoir vu venir celle-là.  

Que faire ? Le gardien, tout en marchant, réfléchissait à comment il pouvait patienter confortablement la fin de la tempête. Une idée lui vint à l'esprit : Le secteur des rats de bibliothèque ! Il avait été réhabilité assez récemment, zone luxueuse faisant tâche face à la vétusté du quartier des sciences. Il était certain qu'ils avaient le budget, eux ! Pas de matériels onéreux, pas de programmes perfectionnés permettant de faire progresser l'humanité ... Non, juste quelques bouquins poussiéreux entassés dans des étagères toutes neuves. Mais bon ... Faut croire que le confort du fessier de ces "intellectuels" prévalaient celui des scientifiques qui se cassaient les reins sur de vieux canapés à ressort. Quelle injustice ! Gabriel passait très rarement dans ce coin, la vue des littéraires lui donnant purement et simplement de l'urticaire. Voir des types se masturber le cerveau à longueur de journée sur des écrits parfois non fiables de mecs qui pensaient que la terre était plate était d'un ennui sans commune mesure.

Mais là, il allait faire un effort, juste pour se vautrer dans le canapé en cuir de leur salle de repos. De plus, peu de chance de croiser quelqu'un alors, pourquoi s'en priver ? C'était sans compter ce bureau encore éclairé. Il aurait pu l'ignorer et se diriger directement vers son objectif mais la curiosité l'emporta. Il savait à qui appartenait cet endroit. Au bon vieux Alfred dont les rumeurs disaient qu'il avait lui-même côtoyé les auteurs qu'il étudiait. Il était connu comme le loup blanc dans cette université. Vu son âge, il avait dû même participer à sa construction. Gabriel s'approcha de la porte pour jeter un coup d’œil rapide. Peut-être que le vieux s'était endormi et n'était pas au courant de la situation à l'extérieur de ces murs ? Bien que cela ne lui plaisait guère de lui parler, le prévenir était quand même important ...

Surprenamment, ce ne fut pas un crâne dégarni avec seulement d'éparses mèches blanches qui accueilli son regard. Il bloqua un instant, cligna des yeux et se pencha en arrière pour lire l'inscription en lettre d'or sur la porte : William Hunt. Mais d'où ? Depuis quand le bicentenaire a été remplacé ? Pourquoi n'était-il jamais au courant de ces choses là ? Poussant légèrement la porte pour avoir un meilleur visu sur le nouvel arrivant qui lui faisait dos, il s'adossa contre le chambranle en bois de l'entrée. Intéressant, tout compte fait. Tout en l'observant, les bras croisés, Gabriel fut pris d'une étrange révélation : Il était entrain de se comporter comme un furieux psychopathe en ce moment même ! Il hésita un instant entre déguerpir discrètement ou prendre la parole pour découvrir le visage de ce mystérieux personnage. Un raclement de gorge pour signaler sa présence précéda sa décision de le déranger dans ses travaux :

- Bonsoir ... Désolé pour le dérangement mais y'a une tempête de neige dehors et on risque d'avoir une coupure de courant sous peu ...

Il fixa l'ordinateur un instant qui était allumé. Perdre des heures de travail à cause des plombs qui sautent pouvait légèrement irriter le propriétaire des fichiers. Puis ... C'était une phrase d'accroche comme une autre ... Le scientifique n'était pas un littéraire, lui.

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- Oh, je... Désolé, vous m'avez foutu une de ses trouilles bon sang. Merci de m'avoir prévenu. Je ne pensais pas qu'il y avait encore quelqu'un dans l'établissement à cette heure-ci.

Habituellement, Gabriel aurait jubilé d'avoir effrayé un dico sur pattes mais là, il était tellement dans un état de sidération, qu'il en oublia même la tempête de neige. C'était quoi "ça" ? Depuis quand les littéraires s'étaient métamorphosés en dieux vivants ? L'Académie avait-elle revu ses critères de sélection afin d'intéresser plus de jeunes à venir étudier les lettres ? Il se répétait un peu ... Mais d'où ? Bizarrement, l'envie de se taper tout le registre de Shakespeare devint pour lui beaucoup plus envisageable qu'il y a cinq minutes. Alfred lui aura manqué au moins trois secondes, tout au plus.

- A vrai dire ... Moi non plus, je pensais être le seul con à bosser encore à cette heure-ci. Bonne nouvelle, nous sommes au moins deux.  

Chassez le naturel, il revient au galop. Son franc parlé le perdra un jour, si ce n'était pas déjà fait d'ailleurs. Le professeur de science eu quelques secondes de répit afin de se remettre de cette agréable surprise avant de faire face à une main tendue.

- William Hunt. Je suis nouveau, arrivé il y a une semaine. Et vous êtes ?

Il avisa son geste puis pris le temps de faire l'état des lieux du petit nouveau. Environ son âge, peut-être un peu plus jeune ? Un visage plutôt sympathique à regarder encadré par des cheveux bouclés ... Un tas de cheveux même. Beaucoup trop de cheveux ! Comment pouvait-on en avoir autant ? Cela devait lui peser lourd sur le crâne ! Tout un écosystème pouvait y vivre à l'intérieur ... Fascinant. Une carrure plus qu'acceptable pour un foutu littéraire ... Et en plus, il avait l'air poli ! Non, il en était persuadé maintenant, il était réellement entrain de rêver. Lui, trouver un type comme ça attirant ? Jamais. Il devait y avoir un loup quelque part ... Ouais, c'était obligé. Boucles d'or s'était surement trompé de maison. Ou alors, il devait être d'un ennui total voire pire, insipide comme la plupart de ses nouveaux collègues. Ah les clichés avaient la vie dure ...

- Gabriel Hansen, bienvenue chez nous.

Malgré tout ça, il ne le laissa pas en plan et lui serra la main. D'une poigne ferme qui cachait son étonnement face à ce revirement de situation. Bon quitte à rester coincer ici avec lui, autant mettre ses a priori de côté non ? Il lâcha un sourire, certes froid car peu habituel, mais tout de même présent.

- J'ai besoin d'une pause. Un café, ça vous dit ? Vous fumez ?

Bonne idée ! Le gardien avait grandement besoin d'un café et d'ailleurs, c'était ce qu'il avait envisagé avant d'être interrompu par sa curiosité. Pour la cigarette, il jeta un œil par la fenêtre où la tempête continuait de sévir. Hors de question de sortir par un temps pareil mais la proposition était somme toute intéressante. Il fumait parfois, plus pour le goût que pour l'addiction ... Il laissait cette tare à son frère. Il haussa les épaules et tourna les talons pour partir en direction de la salle de pause :

- De temps en temps, oui. Je suppose que cela ne dérangera personne si on se permet de squatter la salle de repos même pour une cigarette. Pas vu, pas pris comme on dit ! D'ailleurs, on va se tutoyer hein ... Entre délinquants ...

Ouais je sais, son petit côté rebelle était impressionnant. Il pouffa légèrement avant de déchanter directement en essayant d'ouvrir en vain la porte avec son passe-partout :

- Ah ouais d'accord ... Ils sont comme ça ici ? Tout est refait à neuf, même les serrures. Sympa la convivialité chez les lettreux !

Bande d'égoïstes !

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- Laisse moi faire.

Gabriel se mit sur le côté pour le laisser ouvrir cette fichue porte qui lui était à présent infranchissable. Il allait devoir réparer cette injustice et se procurer, de manière légale ou non, la clé pour pouvoir lui aussi profiter des locaux tout neuf. Il y allait peut-être un peu fort pour le coup mais se savoir restreint ne lui plaisait guère. Bref, là n'était pas le sujet, il verra ça un autre jour ! Pour l'instant, il devait faire face à ce sourire victorieux et provocateur dont il répondit simplement avec des yeux levés au ciel, blasé. T'as ouvert une porte ... Pas sauvé l'humanité, Boucles d'Or; se disait-il avant de le suivre à l'intérieur de la pièce.

- Et voilà le travail ! On est pas tous pareils, tu sais.

Il confirma cette affirmation d'un haussement d'épaules. Certes, lui au moins il était nettement plus regardable que les autres. Un sourire sarcastique défia son regard appuyé puis avant même de prendre la parole, il s'installa sur le canapé :

- J'attends de te connaître un peu plus avant de donner mon jugement là-dessus.

Tant qu'il ne commençait pas à le saouler avec ses grandes phrases de littéraire pré-cuites voire pré-mâchées, tout ne pouvait que bien se passer ... non ? Plus qu'à savoir combien de temps il allait tenir, c'est tout. Il s'allongea, se mettant à l'aise pendant que son nouveau collègue préparait le café et sorti son téléphone. Pas de réseau. Bien évidemment. Un soupir s'échappa de ses lèvres.

- Tu es prof de science, je me trompe ?

Ses yeux quittèrent l'écran pour se poser sur William. Prénom très convenu pour sa spécialité d'ailleurs. Il l'observa en silence avant de secouer la tête, légèrement amusé. Il s'était grillé tout seul au final, il n'était pas difficile de trouver son domaine de prédilection après tous les tacles gratuits envers les philosophes du dimanche. C'était d'ailleurs très puéril mais la guerre entre les deux existaient depuis le début ... Et c'était parfois plus fort que lui.

- Oui, enseignant chercheur en physiologie animale pour être plus précis ! Et toi ? Si tu remplaces ton prédécesseur, ça doit être un truc du genre mythologie non ? D'ailleurs, je ne pensais pas qu'il partirait à la retraite un jour ... J'étais persuadé qu'il allait faire de son bureau, son tombeau.

Le pire, c'est qu'il y croyait vraiment. Mais bon, il fallait bien passer le flambeau au bout de quelques siècles d'existence. Et ce n'était pas Gabriel qui allait se plaindre au vu de la nouvelle recrue.

- Tu viens d'où ? Du moins, t'enseignais dans quelle université avant d’atterrir ici ?

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- Mythologie grecques et nordiques. A des années lumières de tes recherches. J'enseignais à Norwich avant. J'espère ne pas finir comme le gars dont tu me parles. Bien que je le comprends. D'où je viens, on a pas tout ce luxe, loin de là. Si j'avais su que j'aurais un bureau rien que pour moi avec en plus, un canapé, je serais venu plus tôt.

Norwich ? Il était évident que Manchester allait le changer de son trou paumé d'avant. D'après ses paroles, il lui en fallait peu pour être heureux. Un bureau et un canapé ... Ses ambitions étaient effectivement à des années lumières des siennes. Quoique, il ne troquerait pas son confort pour tout l'or du monde. Ils n'avaient pas à se plaindre ici. Le matos était de bonne qualité et le café buvable ... Que demander de plus ? Il prit sa tasse, le remerciant mais il ne s'attendait pas à devoir partager son espace vital avec lui aussi rapidement.

- Allez, pousse toi un peu, tu prends toute la place.

Gabriel poussa un léger grognement, se décalant contre le dossier du canapé. Sérieusement ? Non pas qu'être collé serré avec ce type le dérangeait plus que ça mais quand même. Un peu envahissant le nouveau. Il porta le café à ses lèvres, du moins il essaya sans virer l'autre d'un coup d'épaule.

- Vous étiez si mal loti que ça dans ton ancienne université pour accepter autant de proximité avec le premier venu ?

Un sourire en coin s'étira sur son faciès avant de le regarder non sans une pointe d'amusement. Mettre les gens à l'aise n'était pas sa spécialité, au contraire. Le scientifique, mû par un réflexe propre à lui-même, roula des yeux quand le bouclé bougea pour attraper son téléphone portable. Il le faisait exprès ou quoi ? Au vu de sa bouille, il comprit que lui aussi n'avait pas de réseau. Il fallait à présent prier pour qu'il n'y ait pas d'urgence vitale durant les prochaines heures coincés ensemble.  

- Et toi, ça fait combien de temps que tu es ici ?

Un long silence s'installa entre eux à cette question. Gabriel était en pleine réflexion. Avait-il au moins quitté une seule fois ce lieu depuis qu'il avait eu son doctorat ? Oui, de temps en temps pour aller sur le terrain afin de mener ses recherches mais en réalité, il avait toujours travaillé ici. L'impression de faire parti des meubles le fit grimacer ... Et si c'était lui, le prochain Alfred ?

- ... Depuis trop longtemps je crois. Je devrais peut-être songer à changer d'air un jour. Je suis là depuis que j'ai commencé à enseigner, pour te donner un ordre d'idée.

Il bu une gorgée de café avant de se hisser à l'aide de ses jambes. Le cuir c'était confortable mais glissant. Cette action était somme toute périlleuse, entre le littéraire collé à lui et surtout, les deux tasses de breuvage brûlant qui pouvaient se renverser à la moindre secousse violente. Pas de réseau, pas de bêtise. Le gardien abandonna donc l'espoir d'être bien installé et poussa un soupir bruyant avant de reprendre la parole :

- Et sinon ... T'as l'air de t'intégrer plutôt facilement parmi nous hein ! Non, en vrai, pas trop compliqué à vivre le changement ?

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- Super. Je viendrais vers toi si jamais j'ai une question. Je suis encore un peu perdu je t'avoue.

Pas sûr que l'on se recroise avant un moment, se disait-il. Leur secteur respectif se trouvait à l'opposé et c'était une grande faculté ... Mais bon, s'il pouvait venir profiter des locaux, Gabriel fera peut-être l'effort de venir plus souvent. C'était du donnant-donnant. D'un autre côté, ce n'était pas dans ses habitudes de traîner avec ses collègues ... c'était un solitaire dans l'âme. A voir les jours où il sera de bonne composition pour filer un coup de main au littéraire.

- Je fais avec. Les changements, c'est pas trop mon truc. J'étais bien dans mon ancien établissement. Enfin... C'est ainsi. La vie est faite de surprises.

Boucles d'or n'avait pas l'air d'être l'auteur de sa mutation. Du moins, pas directement. Le mystère de sa venue s'épaississait davantage. En tout cas, ce n'était pas vraiment positif à l'entendre parler de son départ. Un divorce ou une séparation qui aurait mal tourné ? Ou une histoire tordue dans son ancienne faculté qui l'a poussé à déménager ? Gabriel évinça ses suppositions grotesques car en vrai, il s'en foutait royalement. Chacun sa vie, chacun ses problèmes. Il n'avait pas à juger une personne sans la connaître, surtout si celle-ci refusait d'en parler ouvertement ... C'était son choix.  

- Je vois ...

Enfin ça, c'était avant qu'ils ne se retrouvent dans le noir complet. Il ne voyait plus, pour le coup. Il sentit son interlocuteur se redresser, pestant et jurant contre la coupure de courant. Pour sa part, il ne bougea pas. Il se contenta de passer une main sur son visage, sachant pertinemment que cela allait arriver. Ses yeux se plissèrent sous la lumière vive de la lampe torche. Sympa l'ambiance tamisée à coup de flash dans la gueule ...

- Bon, y'a plus qu'à. Tu as la moindre idée d'où sont les plombs ?

Le scientifique fini par s'asseoir, évitant de justesse le café renversé sur le sol.

- T'es une catastrophe ambulante ma parole ...

Il prit le temps de s'étirer longuement avant de hausser les épaules.

- Oui, au sous-sol. Je veux bien rallumer le bousin mais dans cinq minutes, se sera la même. Cela dit, si ça te rassure ... On peut y aller faire un tour.

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- T'as raison. Allons-y à notre aise. Mais avant, je vais réparer mes conneries.

Gabriel le regarda effectivement ramasser ses conneries. Il aurait pu l'aider, certes, mais le spectacle que lui offrait le professeur en mythologie était bien trop subjuguant pour bouger d'un iota. Quoi ? Il fallait bien s'occuper pendant ce huis clos. Puis le plaisir des yeux n'a jamais fait de mal à personne, n'est-ce pas ? Il se releva une fois qu'il eu fini de gigoter au sol, plutôt de bonne humeur à présent et hocha la tête à sa dernière prise de parole.

- Ouais, suis-moi.  

Ils sortirent de la pièce, éclairés seulement du téléphone et prirent le chemin en direction de l'entrée. Le sous-sol était accessible par un escalier de service, fermé par une porte dont heureusement il avait la clé cette fois-ci.

- Fais attention à là où tu poses les pieds ... J'espère que t'aimes les endroits glauques par contre.

Le noir et les lieux étranges n'avaient aucun impact sur le gardien. Cartésien de naissance, les fantômes et tout ce qui était lié de près ou de loin au paranormal le laissaient indifférent. C'était juste des marches, menant à une succession de couloirs sombres. Point. Il descendit dans les entrailles de l'université, le pas assuré mais tout de même prudent. S'il se pétait la gueule, peu de chance qu'une ambulance vienne jusqu'ici avec la tempête ... Surtout s'il était impossible de les appeler. Arrivé sur le seuil, il pris son propre portable pour apporter une autre source de lumière.

- Bon ... Le panneau électrique doit se trouver un peu plus loin.

Dans la pénombre, il était un peu plus difficile de s'orienter mais il avait déjà fait le chemin. Il ne comptait plus le nombre de fois où, dans son secteur, les plombs avaient sauté à cause de leurs innombrables machines allumées toutes en même temps. Et dire qu'en ce moment, il aurait pu être chez lui, au chaud. Un énième soupir lui échappa avant de se retrouver nez à nez avec le tableau électrique. Il était gigantesque ... Bien évidemment.

- Si tu vois une grosse manette avec écrit "Général" dessus ... Tu l'actives ! Puis on verra si ça prend feu ou pas après ...

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Alors que Gabriel activait la torche de son téléphone, un poids lourd vint se heurter contre son dos dans un petit "Pof" ridicule. Il cligna des yeux avant de tourner la tête vers William qui n'avait certainement pas prévu un arrêt aussi abrupte. Il s'excusa et l'intéressé bousculé se contenta de hausser les épaules :

- Y'a pas de mal ...

Pour l'instant, il se concentrait sur la multitude de commandes qui s'étalaient devant lui. A vrai dire, il ne connaissait que celles pour le quartier des sciences et il n'était en aucun cas électricien. Mais cela ne devait pas être sorcier non ? Il passa en revu tous les fusibles présents, sa main bougeant au rythme de ses yeux afin de bien lire les étiquettes minuscules catégorisant chaque bouton.  

- Gab ! Je crois que j'ai trouvé. Viens m'éclairer s'il te plait !

La voix lointaine le fit se reculer, cherchant son propriétaire du regard. Où était-il passé ? Il ne l'avait pas entendu partir ... Pire qu'un ninja ce type. Plus qu'à le re... Attendez, "Gab" ? Ils avaient certes partagé un canapé étroit pendant cinq minutes mais de là à se donner des petits surnoms ... Il allait vite en besogne Boucles d'or. Ouais bon, en pensée, ça ne compte pas !

Il rejoignit son collègue en rade de batterie et éclaira l'endroit qu'il indiquait. Cela semblait être effectivement le bon truc.

- Bien joué, "Will".  

Un petit sourire moqueur plus tard, la commande fut activée et ... Et bah rien. Juste un bruit de pet mouillé mais ils étaient toujours dans la pénombre. Gabriel réitéra son geste, par acquis de conscience, mais en vain. La poisse. Surtout que son téléphone lâcha quelques secondes plus tard à son tour. La fucking poisse. Il hésitait entre rire ou pleurer ... Alors dans le doute, il resta de marbre.

- Génial. Rappelles-moi de me foutre une claque la prochaine fois que j'envisagerai de faire des heures supplémentaires, s'il-te-plaît !

Reste zen, Gabriel, cela pourrait être pire. Non, en fait juste non. Qu'est-ce qui pourrait être pire que d'être coincé sur son lieu de taff, dans le noir, sans chauffage, sans à manger, avec un inconnu, alors qu'une tempête de neige bat son plein ? Si ... Tout ça mais en compagnie d'Alfred. Le petit nouveau sauvait la mise au moins sur ça !

- Bon. Plus qu'à trouver des lampes torches, des bougies et de quoi faire un feu de camp dans la salle du réfectoire car ça va commencer à cailler sévère sans chauffage. Bienvenue à Manchester, William !

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- Génial merci. Fais chier putain.

Le rire que William avait osé sortir s'était rapidement transformé en colère, ayant pour témoin ce pauvre tableau électrique qui venait de tâter de son poing. Un peu lunatique le monsieur. Gabriel aussi était énervé mais pas au point de se défouler contre un mur.

- Tu vas te faire mal, pas la peine de t'en prendre à la console ...

Il secoua la tête, démuni face à cette situation qui échappait à son contrôle. Il n'aimait pas être impuissant et là, il devait se faire à l'idée qu'il allait falloir attendre que la tempête se calme pour retrouver un minimum de confort. Pas de panique, il n'y avait pas mort d'homme. Du moins, pas pour le moment.  

- Dis moi que tu sais où trouver ça. Je n'ai vraiment aucune envie de me taper tout l'établissement pour trouver des lampes. Y'a pas ça dans ta partie ? Remontons. Inutile de rester ici. Au moins en haut on y verra un peu plus clair grâce aux fenêtres.

Pour le coup, le bouclé avait raison. Rester ici n'arrangera rien, au contraire. Il se mit à réfléchir sur où trouver de quoi s'éclairer. Les géologues devaient forcément avoir des lampes frontales dans leur bordel. C'était à l'opposé de leur position mais bon, ils n'allaient pas passer la nuit dans le noir. Il ouvrit la bouche pour répondre avant d'être coupé par des mains se posant maladroitement sur son ventre.

- ...

Le gardien arqua un sourcil suite à cet attouchement inattendu et plutôt surprenant. Il ne mit pas longtemps à comprendre que ce n'était pas voulu mais un rire étouffé lui échappa quand il s'excusa :

- Encore une fois ... Y'a pas de mal.

Il mit cet incident de côté, le prenant par le poignet pour le guider jusqu'à la sortie. Tout droit, gauche, gauche puis pour finir, à droite. Il marchait lentement pour que Boucles d'or puisse suivre sans provoquer une énième catastrophe. Une fois devant les marches qu'il devina en tâtant du pied, il prévint son collègue :

- On démarre l'escalier, essaye d'avoir le même rythme que moi. Je te tiens donc si tu as une perte d'équilibre, dis-le moi ... Qu'on évite de se fracasser tous les deux sur le sol, trois mètres plus bas !

Gabriel & Will

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William & Gabriel

- Merci. Et désolé. Je suis maladroit, je voulais pas...

Ça, Gabriel avait bien cru le comprendre. Il se garda de faire un quelconque commentaire pour l'instant, afin de ne pas empirer leur situation. Ils avaient beaucoup mieux à faire que de débuter une bataille de lancer de fions. De toute manière, il en ressortirai vainqueur ... Le littéraire semblait un tantinet coincé et un poil trop poli.

-Une idée d'où trouver ses lampes du coup ? Et des couvertures ? Je suis sûr qu'on peu trouver de la bouffe au réfectoire. Je commence à avoir faim, pas toi ? Les objets trouvés. Avec un peu de chance, il y aura de quoi faire. Je te suis, allons d'abord chercher les lampes.  

Oh que si, il avait la dalle. Cela dit, aucun des deux n'avaient accès à la cuisine, ce qui allait être problématique pour grailler un morceau. Après, il restait les frigos dans les salles de repos ... Ceux qui avaient oublié leur repas risquaient de gueuler demain mais la survie avant la camaraderie ! Il se massa la nuque avant de prendre la parole :

- Pour les lampes oui. Pour la nourriture, oublie le réfectoire, nous n'avons pas la clé. On va se servir dans les mini-frigos ... Il doit bien y avoir de quoi grignoter. Pareil pour les objets trouvés ! Je ne sais pas où ils se trouvent et si c'est à l'entrée principale, l'accueil sera tout aussi fermé. Bon, occupons-nous d'abord de nos yeux ... On va passer par le gymnase, se sera plus court.

Il lui donna une tape dans le dos pour l'avertir qu'il partait et se mit à marcher en direction du coin sportif. Leurs pas faisaient un boucan pas possible sur le sol, la résonance étant multipliée par cent la nuit. Il n'y avait pas à dire, c'était une tout autre ambiance l'université à cette heure-ci. Il préféra garder le silence une bonne partie du chemin, pour se faire aux bruits provenant d'eux et de ne pas virer à la paranoïa d'une intrusion d'un fou furieux. Peu de chance d'en croiser un avec ce temps mais être coincé ici augmentait sa nervosité et le rendait légèrement tendu. Il serait dommage que William se prenne un coup de poing suite à un mauvais jugement de sa part ...

Ils pénétrèrent dans le multiplex regroupant les différentes aires de jeu des sportifs et traversèrent en ligne droite l'endroit. Gabriel sorti une autre paire de clés, celles des vestiaires, et s'engouffra à l'intérieur pour ensuite faire la même chose mais de l'autre côté. Il était en possession du passe depuis un moment, occupant parfois les locaux quand il avait besoin de se défouler un peu entre midi et deux. Mais c'était surtout pratique pour couper lorsqu'il devait aller de l'autre côté de l'université.

- Nous voilà sur mon territoire, je te présente le quartier des sciences ... Suis-moi, c'est par là-bas.

Il arriva rapidement vers la section Géologie et ouvrit une salle qui ressemblait plus à un débarras qu'autre chose. Tout leur bordel d'expédition se trouvait là-dedans et il se tourna vers William.

- Je pense qu'ici, tu trouveras des sacs de couchage si tu as peur d'avoir froid. Ils reviennent de Sibérie, donc leurs affaires ne doivent pas se trouver bien loin ! Tu me donnes un coup de main ?

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La lumière refit surface dans la petite pièce. Non pas celle du plafonnier, malheureusement, mais celle d'une lampe torche que son collègue venait de dégoter. Super ! Ils commençaient à avancer dans leur aventure digne d'un film de série Z. Gabriel fouilla de son côté, trouvant à son tour une barre lumineuse qu'il actionna sans attendre. Il venait aussi de mettre la main sur un lot de piles qu'il s'empressa de fourrer dans un sac de voyage posé dans un coin.

- Maintenant, le sac de couchage. Tu penses qu'on aurait besoin d'autre chose ?

Il le laissa chercher de quoi se couvrir. N'étant pas d'un naturel frileux, son manteau lui suffira. D'ailleurs, il avait oublié ce dernier dans le laboratoire, il faudra qu'il pense à le récupérer au passage.

- Je ne suis pas un expert de survie en territoire hostile ... Mais je pense que cela suffira !  

Le scientifique prit le sac de couchage des mains du littéraire pour le mettre dans son sac afin de ne pas s'encombrer pour rien et passa une bride autour de son épaule. Ses yeux se posèrent un peu plus loin sur un tas de barres chocolatées. C'était mieux que rien si les frigos étaient vides. Il les rajouta donc avec le reste avant de sortir du débarras.

- Parfait ! Direction les mini-frigos ?

Il hocha la tête avant de pointer la lampe vers lui pour le voir :

- Je propose que l'on se sépare, je dois passer par le labo pour récupérer ma veste. Je regarderais dans le frigo de notre salle de pause au passage ... Tu penses pouvoir retourner seul dans la votre ? J'ai laissé toutes les portes ouvertes. Se sera plus rapide comme ça !

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Une clope et un canapé, que faut-il de plus ?

Baby, it's cold outside

William & Gabriel

Une fois seul, Gabriel retourna dans la salle où il avait passé des heures entières assis, l’œil rivé dans l'optique du microscope. Un soupir amer s'échappa de ses lèvres. Quelle idée avait-il eu de bosser après la fin des cours, sérieusement ? Il récupéra son manteau, pensant à autre chose pour ne pas s'auto-flageller. Au moins, il ne passera pas sa soirée vautré dans le canapé à somnoler devant sa télévision. Toujours rester positif ! Du moins, essayer de l'être ...

Il fit un passage éclair dans la pièce où se trouvait le frigo puis l'ouvrit, constatant qu'il était rempli de choses à faire réchauffer au micro-onde. Luxe qu'ils n'avaient pas. Il avisa cependant un soda et une tarte aux pommes entamée de piètre qualité qu'il s'empressa de mettre délicatement dans son sac. Serait-ce le vestige d'un anniversaire d'un radin ne voulant pas se mouiller ? Sûrement. Après tout, le salaire d'un professeur tel que lui ne pouvait pas permettre de se la jouer champagne et macarons. Il n'avait pas à se plaindre, bien sûr, mais si son niveau de vie était plus élevé que la moyenne, c'était grâce à sa famille aisée.

Bref. Il fit demi-tour, retournant dans le quartier des Lettres, en prenant soin de bien refermer derrière lui. Il passa le seuil de leur QG, cherchant de sa lampe le bouclé.

- T'en tires une gueule ... Si ça peut te consoler, j'ai un dessert et du soda ...

Rien de bien glorieux au final. Il posa son butin sur la table basse, faisant de même avec sa torche dirigée vers le plafond pour un maximum de lumière. Il observa un instant son unique interlocuteur de la soirée qui ne semblait pas très jouasse. D'un côté, ça pouvait se comprendre. Il vint s'asseoir à son tour sur le canapé, mettant le sac de couchage sur les genoux du littéraire.

- Tu as trouvé quelque chose de ton côté ?

Gabriel & Will

Une clope et un canapé, que faut-il de plus ?

Baby, it's cold outside

William & Gabriel

- Un sandwich. Il est sur la table. On a un repas tout à fait équilibré, c'est cool.

Effectivement, c'était un vrai festin. Mais encore une fois, c'était mieux que rien. Gabriel se mit à son aise, posant ses jambes sur la table basse, observant le temps par la fenêtre. L'air blasé, il écoutait le vent siffler, s'infiltrant par les interstices de mauvaise qualité. Y'avait pas à dire, la modernité de cet endroit laissait tout bonnement à désirer. Le double vitrage, c'était surfait.

- T'as pas répondu à ma question tout à l'heure... Y'a des gens que je dois éviter ici selon toi ? Si y'a un ou deux gros con, je préfère le savoir direct. J'ai vraiment pas envie de me prendre la tête en ce moment.

Sacrée question que voilà. Le gardien prit le temps de réfléchir. Pour lui, il était entouré de cons mais au final, n'était-ce pas lui le pire dans cette histoire ? Il n'avait que peu d'estime pour ses collègues. Il les tolérait, tout au plus. En fait, il arrivait à faire le parallèle entre monde professionnel et vie privée. Personne ne le verra aux soirées organisées par les autres professeurs car il n'avait juste pas l'envie de tout mélanger. Moins il avait d'amis, mieux il se portait.

- Hmm ..., Il se redressa légèrement dans le canapé, ... Beaucoup diront que je suis la personne à éviter ici. Il paraît que je suis trop franc, du coup, ça ne plaît pas. Après, le directeur est pas mal dans son genre. Le boulot avant l'humain, parler avec lui revient à n'être qu'un numéro sur un bulletin de salaire. Après, je ne connais pas assez les autres pour donner un avis objectif sur leur personnalité.

Le silence revint entre les deux hommes. Il sentit glisser sur lui un regard et par automatisme, il tourna la tête vers William. Ce dernier semblait crevé.

- Rude journée ?

Gabriel & Will

Une clope et un canapé, que faut-il de plus ?