Toujours enlisé dans un semi-sommeil confortable, je perçois être dans un nouvel endroit. L'odeur familière des cheveux d'Elio vient se glisser à mes narines, apaisant mon esprit torturé. Il m'entoure de ses bras, je me demande s'il s'agit d'un rêve. Je me croirais revenu à cet été-là. Mais il fait beaucoup moins chaud et j'apprécie l'épaisseur de la couette qui nous recouvre. Je me sens observé, mais je n'arrive pas à me sortir de la torpeur du sommeil. La douceur de moment me donne envie de savourer les secondes comme des heures.

La douceur d'une caresse sur ma mâchoire, aussi légère qu'une plume, me fait frissonner. Le retour à la réalité se fait bien plus agréable que d'ordinaire. Mon souffle est un peu moins régulier alors que je reprends conscience du monde qui m'entoure. Et puis les lèvres d'Elio, je les reconnaîtrais entre des milliards, épousent les miennes avec cette même tendresse qu'il y a un an. Mon cœur s'agite de nouveau gonflé d'espoir mais une petite voix dans ma tête me réprime. La dernière fois que nous nous étions retrouvés, il s'était enfuis comme un voleur.  Je retiens la multitude de sentiments qui s'affolent en moi pour ne garder que la joie. A quoi bon tout ruiner avec des doutes et des inquiétudes ?

Ma bouche répond à la sienne avant qu'Elio ne s'éloigne. Mes yeux s'entrouvrent doucement, apercevant sa bouche délicate, puis mon regard remonte sur son adorable nez avant de plonger dans ses iris aux nuances mordorées. Un sourire timide étire mes lèvres avant que ma voix enrouée par la nuit ne réponde.

« Hey... »

Je prends le temps de l'observer un peu. Longuement. Il a l'air plus serein que toutes les fois où l'on s'est rencontrés, précédemment. Mon visage se rapproche du sien pour l'embrasser sur le front avant  que mes prunelles ne reviennent chercher les siennes.

« Comment...comment tu te sens ? »

La nuit dernière avait été éprouvante, entre notre dispute publique et la peur bleue qu'il m'a faite ça avait été un vrai bordel. Elio et moi nous nous étions raccrochés l'un à l'autre sans plus réfléchir et avions fuis pour retrouver la sécurité de son appartement.

Même si cela reste timide et hésitant, je sens Elio se laisser aller. J’ai l’impression que tout doucement, nous prenons le temps de nous reconnecter l’un à l’autre. Il se cale confortablement contre moi, accélérant le battement joyeux de mon coeur. Son regard cherche le mien alors qu’il me répond.  Je souris un peu plus audacieusement désormais.

« Tant mieux. »

Je vois son regard partir à la découverte de mon corps tandis que j’ai l’occasion de l’observer un peu mieux. La peine m’envahit alors que je constate à quel point ses joues se sont creusées, son corps me paraît encore plus frêle qu’avant entre mes bras. Combien a-t-il perdu de grammes qu’il n’avait pas ? Je me reprends lorsque son regard revient vers moi, ce n’est pas le moment de faire ce genre de remarques. Sa voix résonne à nouveau, en douceur.

« Mieux aussi. »

Mon sourire se fait tendre tandis que ma main vient repousser une boucle brune de son front. J’en profite pour effleurer son visage du bout des doigts avant de venir reposer mon bras le long de mon corps. Je le laisse parcourir ma peau, frissonnant sous le geste. Combien de temps cela faisait-il depuis la dernière fois où nous avions partagé un simple moment de tendresse ? Je sens ses doigts s’arrêter au bracelet de cuir à mon poignet. Je n’ai rarement autant chéri un bijou. Le cuir est légèrement abîmé après tout ce temps, mais la pierre d’un bleu profond n’a jamais été aussi brillante.

Malgré sa question, mon coeur s’affole lorsqu’Elio se glisse hors de mon étreinte, hors des draps. Il prend pourtant soin de me maintenir au chaud. Il ne va pas s’enfuir n’est-ce pas ? Je reste en alerte, une inquiétude sous-jacente dans l’esprit, mais mon sourire revient lorsque les connexions s’établissent dans mon esprit.

« Oui, bien noir. »

Comme toujours. Un mélange de joie et de nostalgie s’épanouit en moi tandis que je l’observe se mouvoir dans son appartement. Il s’habille d’un pull bien trop grand pour lui. Mes yeux continuent de le suivre, amoureusement jusqu’à ce qu’il disparaisse dans la cuisine. Mes prunelles s’attachent alors à détailler la pièce. Je reconnais bien là les goûts d’Isabella. Des pièces grandes, lumineuses, baroques. Et puis le piano sous la fenêtre. Alors qu’il ne joue pourtant plus. A cause de moi. Le bruit de la machine à café ronronne dans la pièce d’à côté. Je chasse la culpabilité qui me ronge en voyant la silhouette de mon aimé revenir dans la pièce. Comme à son habitude, la cigarette a rejoint ses doigts, ma curiosité s’éveille à nouveau. L’a-t-il toujours ?

Je vois Elio fouiller ses vêtements au sol et ressortir le zippo que je lui ai offert il y a maintenant plus d’un an. Je souris. C’est un cadeau qui vient du coeur. C’était ma manière à moi de lui dire que tous les instants passés ensemble comptaient vraiment. Tout comme je n’ai jamais quitté son bracelet. Je soupire pour relâcher la tension qui s’accumule avec mes sentiments contradictoires. Il faut que je saisisse l’instant présent, que j’arrête de penser au passé.

Elio revient s’asseoir au bord du lit, laissant échapper des nuages de fumée. Je me rapproche dans la lit pour arriver au plus près de lui. Mon regard se balade à nouveau sur lui, son visage fatigué mais pourtant plus détendu. Ses yeux se perdent vers la fenêtre, puis sur le piano, me posant une question,avant de revenir vers moi.

« Oui. Bien à l’abri dans ma valise. »

Une expression incertaine sur le visage, je finis par exprimer un mince sourire alors que je me redresse pour lui faire face, le torse nu, la couette sur mes genoux. Aurait-il changé d’avis ? Timidement, mais aussi avec beaucoup d'espoir, je demande:

« Tu...la voudras ? »

Évidemment il ne me laisse sûr de rien. Mais son regard me laisse espérer quelque chose qui tendra vers le oui. Et puis son sourire, hésitant, fragile, vient bousculer mon cœur déjà amoureux. Comment ai-je pu croire que je l'oublierais ? Comment ai-je pu un instant croire que je n'avais pas besoin de lui ? Pour la première fois depuis longtemps, je me sens revivre à ses côtés. Comme si on m'avait autorisé à reprendre une bouffée d'oxygène, enfin. J'ai envie de m'approcher, pour l'embrasser, partager son poison, comme autrefois, mais le bruit strident de la cafetière m'interrompt. Sûrement à raison.

Je le regarde une fois de plus se rendre là-bas, déjà trop loin de moi. Je vois le fil scintillant qui nous relie de nouveau, toujours prêt à se rompre et demandant pourtant d'être renforcé. Je me demande encore comment j'ai pu regagner juste assez de confiance de sa part pour que la situation nous permette un tel moment d'intimité. Le silence nous entoure comme un complice, parfois interrompu par un grincement du plancher. Je relève la tête vers Elio alors qu'il revient, les deux mugs à la main. Je tends les mains pour récupérer le mien, effleurant sans le vouloir ses doigts frigorifiés. Pourrais-je de nouveau les réchauffer ?

« Merci. »

Il retrouve sa place, près de moi. Le lit me paraît bien grand par rapport à la place que l'on y occupe. Il n'a rien à voir avec son lit d'adolescent, celui dans lequel on se lovait l'un contre l'autre pour dormir. Je plonge doucement mes lèvres dans la tasse fumante, aspirant un peu de ce liquide sombre qui me donne une énergie artificielle. La voix d'Elio me fait relever les yeux. Eloignant ma tasse, je hoche la tête en assentiment. Toujours assis, j'attends sagement. Je le vois avec émotion se rendre devant le piano. Il va jouer, depuis longtemps, pour la première fois. Devant moi.

Je commence à trembler sans le vouloir alors que mes yeux ne le quittent plus et le détaillent avec délicatesse. Le soleil, bien que peu chaleureux, éclaire son visage endormi, ses gestes peu assurés prennent possession des touches aux champs chromatiques opposés. Et puis, comme s'il n'avait jamais arrêté, son corps s'étend, adopte la posture qui sied à l'instrument. Mon cœur frémit dès les premières notes. Je me laisse emporter par la mélodie, mais aussi par la danse harmonieuse du corps d'Elio en réponse à la musique dans cette lumière matinale qui l'auréole comme une divinité. Je suis captivé, envoûté. La voilà sa place. Sa vraie place.

Mon palpitant cabriole, se serre, lorsque la musique commence à me parler, à me raconter cette histoire, l'histoire d'Elio, probablement la notre en quelques sortes. Mon âme se met au diapason du sentiment de mélancolie mêlé à l'espoir, malgré tout. Ma respiration me semble difficile. Quelque chose de chaud coule le long de mes joues. Un goût salé s'épanouit du coin de mes lèvres jusque dans ma bouche. Je sanglote aussi silencieusement que possible, chamboulé par cet ouragan de sentiments qui appartiennent à un autre. Un autre dont je suis complètement épris. Des sentiments que j'ai provoqué.

La dernière note résonne, imposant un silence qui me surprend plus que je ne l'aurais voulu. Elio ne se tourne pas encore vers moi, reprenant sa cigarette aussi naturellement que s'il avait mentionné le temps par la fenêtre. Ses paroles me firent l'effet d'une lame insidieuse dans une plaie à peine refermée. Celle de ma prise de conscience, de ma culpabilité. Pourtant, si j'accuse le coup, je ne veux pas voir ça comme une attaque supplémentaire, mais comme une confidence. Elio porte son regard sur moi, me surprenant en train d'essuyer mes larmes du dos de ma main libre que je repose directement, lui accordant toute mon attention, encore une fois. Sa phrase me désarçonne. L'air perdu, je réponds.

« Non, pas avant de t'avoir revu à Rome. Et encore plus maintenant. »

Je renifle. Mon regard se plonge dans ma tasse alors que mes mains l'enserrent de part et d'autres, comme une bouée de secours.

« Je me sens tellement con. Si tu savais. »

A quoi bon ressortir une plâtrée d'excuses ? Il le sait, maintenant, que je suis vraiment désolé. Que tout ce que je veux, c'est me rattraper. Mais est-ce qu'il se rend compte de son don pour la musique ? De l'importance que ça a dans sa vie ? Je suis certain que c'est par là qu'il faut commencer. Je me fais la promesse de le soutenir pour ça. Je tente un pauvre sourire pour essayer de ne pas alourdir l'ambiance, le regard encore brillant de mes précédentes larmes.

« Tu es magnifique quand tu joues. J'en ai encore des frissons. »

Je tends mon bras pour lui montrer la chair de poule qui a gagné ma peau, même si peut-être que depuis son promontoire, il ne peut pas le voir.

Mon bras revient se plier le long de mon corps et ma main rejoint le mug encore chaud alors que mon regard se focalise sur celui d’Elio. Ses iris tremblent d’émotions derrière son sourire. Ma vulnérabilité s’amplifie face à la sienne. Je meurs d’envie de le serrer contre moi, mais j’aurais trop peur qu’il me repousse, alors mon attention se porte sur le liquide noir qui coule doucement dans ma gorge, réactivant mon coeur déjà trop enhardi. Et puis les mouvements d’Elio attirent mon attention.  Il se rapproche, terminant sa cigarette avant de reprendre son café. Je le vois se rasseoir à une certaine distance. Une sorte de distance de sécurité. J’imagine. J’enquille la fin de mon café, je ne sais pas quoi faire d’autres, pas quoi dire.

Au moment où je repose mon mug vide au creux des draps devant moi, il reprend la parole. Il n’a pas besoin de me redire à quel point cette situation l’épuise. Je le remarque sans mal, d’autant plus depuis que la magie du piano s’est dissipé de son visage et que la dure réalité l’enveloppe à nouveau, pourtant il poursuit, stimulant mon espoir. Tellement quoi ? Il ferme les yeux, les larmes s’écoulent brutalement sur ses joues. Oh non non non….Aussi difficile que ça l’est pour moi, je me retiens de bouger. Tendu, la mine inquiète, j’attends qu’il reprenne. Mes yeux se brouillent lorsqu’il laisse échapper son manque. Il se met à trembler, j’esquisse un mouvement vers l’avant, mais il parle à nouveau.

Cette fois je repousse les draps, posant mon mug sur le premier meuble à portée et je me précipite pour retirer celui d’Elio de ses mains tremblantes. Je m’agenouille devant lui, sur le sol glacé, le laissant poursuivre. Et puis ses mots me bouleversent encore une fois. Je hais ce lâche que j’ai été. Je le hais de tout mon coeur d’avoir détruit celui d’Elio. Je le vois se replier sur lui-même. Mes mains viennent attraper son visage larmoyant pour l’obliger à me regarder. De mes pouces j’essuie ses pommettes.

« Elio, j’ai été un sale con stupide, tu n’as rien fais de mal. »

Je me redresse pour m’asseoir à ses côtés, l’envelopper de mes bras, le serrer contre moi, le bercer.

« Il y a longtemps j’ai eu le coeur brisé par un abruti. Je m’étais juré de ne plus jamais retomber amoureux. Et puis je t’ai rencontré. »

Je reprends ma respiration, saccadée par l’émotion, la douleur de voir Elio pleurer.

« J’ai pris peur. Je me suis voilé la face. J’étais persuadé qu’on arriverait à s’oublier mutuellement. J’avais aussi peur de devoir avouer à ma mère mon attirance exclusive pour le même sexe. »

Et c’était peut-être bien là mon plus gros problème. Ma mère et ses croyances. Ma mère et son entêtement. Ma mère mourante.

« J’ai eu si peur de la tuer en contredisant ses projets que j’ai fait l’autruche. J’ai sous-estimé la souffrance que je t’ai infligé avec mon silence. J’ai égoïstement pensé que ce serait plus facile comme ça. Je suis vraiment désolé pour ça.»

Je reprends mon souffle, mes larmes coulant aussi malgré moi.

« Ca vaut ce que ça vaut, mais je suis là maintenant. Et je ne compte plus partir. »

Ma voix s’éteint avant de rajouter, faiblement.

« Si tu veux encore de moi. »

Voilà, il sait l’essentiel. En espérant que ça puisse l’aider à comprendre et peut-être un jour me pardonner. Je n’attends pas de miracle, juste que cette course poursuite s’arrête. Le corps frêle d’Elio tremble entre mes bras, je redoute autant que j'attend sa réaction.

Les épaules de mon ange abîmé se secouent sous le flots des larmes et de mes paroles. Je le sens s’accrocher à ma peau aussi fort que mes bras l’enserrent. Les sillons lacrymaux libérateurs chatouillent l’épiderme de mon torse. Je ne sais même plus si ce sont ses larmes ou les miennes. Et puis lorsque je termine, la hantise d’être mis à la porte se forme comme un poids désagréable dans mon estomac. La voix d’Elio résonne, comme je m’y attendais. Je soupire contre son oreille avec toute la conviction du monde.

« Alors laisse-moi aimer pour deux. »

S’il ne veut plus perdre un peu plus de ce qui lui reste de coeur, qu’il me laisse prendre tout le risque. Qu’il se repose sur moi. Je le sens remuer, redresser sa tête, je le libère, mes mains redescendant dans le bas de son dos tandis que l’une des siennes vient envelopper mon visage. Je frémis, mon regard se perd dans le sien, l’espace d’un instant avant que mes paupières ne se ferment pour savourer ses lèvres contre les miennes. Ses doigts glissent vers ma nuque, provoquant des frissons amplifiés par le goût de sa bouche dans un mélange de café et de nicotine. Je remonte une de mes mains le long de sa colonne vertébrale, pour la caler derrière son cou, les doigts plongés dans ses boucles.

J’appuie mon baiser, glisse ma langue contre la sienne pour entamer cette danse que nous aimions tant. Je repousse les pensées contradictoires, les mots d’Elio qui me disent qu’il ne peut plus m’aimer alors que ses actes semblent crier le contraire. Va-t-il se servir de moi pour étancher sa soif d’affection, puis me dire de partir ? Je l’aurais mérité. L'instant présent me happe, m'envahit, je ne veux plus penser à rien d'autre qu'à lui, à nous.

Mon souffle se mêle au sien, mes lèvres goûtent à la saveur de ses larmes comme celle de sa bouche. Ma main dans son dos se fait plus possessive avant de se glisser sous son pull, venant caresser sa peau. Le désir m’envahit inexorablement et je n’ai pas envie de lutter. Pourtant, tout en faisant part de mon envie de lui, je lui laisse l’occasion de rebrousser chemin. Je te vends mon âme. Elio.

Elio frissonne sous mes doigts, ravivant les souvenirs de ces nuits torrides où nous faisions fi de la chaleur étouffante de l’été pour nous aimer, intensément. Son corps retrouve les mouvements que je connais si bien, il s’aventure contre moi, soupire. Mes bras l’enserrent, protecteurs, mes baisers se veulent de plus en plus audacieux. Il se redresse, s’écarte pour mieux me revenir, me repoussant contre les draps. Je me laisse faire, l’accueillant au-dessus de moi, en frissonnant à mon tour. J’appuie mon désir contre le sien, accompagnant ses mouvements de bassin terriblement excitants.

Sa bouche abandonne la  mienne. J’entrevois l’éclat de son regard un instant avant de clore mes paupières, pour savourer la douceur de ses baisers sur mon visage. Autant de tendresse qui rend mon cœur extatique. Ses mots se glissent dans le creux de mon oreille, comme  une supplique pour lui-même avant de venir mordiller mon lobe d’oreille, me coupant l’envie de répondre. Les frémissements qui découlent de cet acte se déploient dans chaque parcelle de mon corps, me paralysant sur ces draps, à sa merci. Lorsque je retrouve un semblant de contrôle, mes mains s’aventurent dans son dos, sous son pull, caressant sa peau avant de revenir vers ses fesses. Elles tiennent toujours aussi bien dans les paumes de mes mains.

Spoiler:

Le rire d'Elio me rappelle à la réalité avec une douceur inespérée. Mon cœur s'emballe à nouveau. Depuis combien de temps n'avais-je pas entendu le mélodieux son de son rire ? Un vrai rire animé de joie et de tendresse. Je retiens mon souffle comme si j'assistais à un miracle. Je n'ose pas bouger. Puis je le sens me repousser alors, je l'aide, roule sur le côté, le libérant de mon poids. Mes bras reprennent place, l'un le long de mon corps, l'autre entourant la taille d'Elio alors qu'il vient frotter son nez contre le mien. Je me surprends à rougir de plaisir. Je n'ose pas croire à mon bonheur en cet instant. Des gestes complices, si simples, qui m'avaient tant manqué. Je le laisse emmêler ses jambes aux miennes, lui chatouillant un peu les pieds au passage, un petit sourire sur mes lèvres.

Ses doigts glissent dans mes cheveux, suivis de son regard observateur avant qu'il ne vienne se blottir contre moi. Je referme doucement mon bras, remontant la paume de ma main entre ses omoplates.Mon pouce s'active sur sa peau, doucement puis s'arrête le temps de l'écouter parler. Je souris.

« Merci. Les tiens aussi non ? »

Je n'ai pas vraiment pris soin de moi récemment, ma coupe est le cadet de mes soucis, mais si ça lui plaît comme ça, je garde. Elio semble avoir étrangement plus d'énergie qu'avant. Peut-être plutôt, davantage d'enthousiasme. Je souris tendrement.

« Oh oui, un bain ! »

Il m'embrasse le bout du nez me faisant fermer les yeux sur le coup, avant de se glisser hors du lit, bravement. Je ne tarde pas à le suivre, grimaçant un peu à la sensation collante et froide sur mon ventre. Un bon bain n'est pas de refus, ça non. Et puis c'est l'occasion de se faire des câlins. Je me glisse dans la salle de bain, à sa suite, le regard curieux vers la boite qu'Elio a ouverte devant lui. Il m'interpelle, l'air malicieux. Je me rapproche doucement, glissant mon regard vers le contenu. J'en saisi une orange et la porte à mes narines. Des agrumes. Je la tend à Elio.

« Celle-ci convient ? Si on prend quelque chose de plus sucré, je risque de te confondre avec un bonbon. »

Mon regard et mon sourire se font malicieux mais aussi emplit de tendresse. J'ai l'impression d'évoluer au sein d'un rêve agréable. Je le laisse activer le robinet pour remplir la baignoire et lorsqu'il se redresse, j'attrape son visage en coupe pour l'embrasser. Rien de sulfureux dans ce baiser, juste mes sentiments pour lui, aussi intenses que le jour où je me suis rendu compte que je l'aimais à m'en damner.

Je vois à son regard que son esprit s'active, peut-être même qu'il songe à la manière dont il veut me mettre à la porte, mais je ne veux pas qu'il pense à ça, c'est pour cela que je l'embrasse aussi passionnément. Je le relâche à bout de souffle, captant l'intensité de ses prunelles avant qu'il n'embrasse l'une de mes mains avec tendresse. Il se soustrait à ma proximité, reprend ses activités, presque comme si de rien était. J'ai bien conscience que chacun de mes actes le perturbe, mais je ne peux lui dire je t'aime autrement que par les gestes. Le dire à haute voix serait prendre un risque bien trop grand. Je regarde l'eau s'écouler, fixant les remous provoqué à l'atterrissage du flot provenant du robinet.

Perdu dans mes pensées inquiètes, je ne l'entends pas revenir. Je réalise soudain qu'il y a de la musique, mon regard le cherche, le trouve en train d'installer son téléphone et une enceinte. Un sourire, léger mais ravi s'installe sur mon visage. Je le vois retirer son pull, constatant une fois de plus à quel point il a maigri, mais ça ne change rien à ce que j'éprouve pour lui que ce soit l'amour ou le désir qu'il me provoque. Mais la tristesse de me savoir coupable du fait qu'il ne se nourrisse pas correctement me pèse. Je chasse ces pensée pour lui offrir le positif. Je ne veux pas qu'il voit la tristesse dans mes yeux, une fois de plus. Je veux qu'il se sente bien en ma présence. Je veux te réparer Elio.

Sa voix m'invite à prendre les devants. Un regard sur la boule de bain et sur le bain lui-même, finalement, je lui dis.

« C'est pas plus amusant si on la fait se dissoudre avec nous dedans ? Ça doit chatouiller un peu. »

Je me glisse dans le bain avec précaution, grimaçant au contraste entre la température fraîche de ma peau et la chaleur presque brûlante de l'eau. Une fois installé, je lance un regard à Elio.

« Tu viens ? »

J'attends qu'il se mette à son aise avant de prendre la boule de bain et la déposer dans l'eau.  Mes bras l'entourent doucement alors que je manipule la sphère crépitante. Bientôt le chuintement de l'effervescence de l'objet vient rejoindre la musique et le léger chatouillis que cela provoque sur nos jambes m'arrache un  petit rire.

Je pose mon menton sur son épaule, quelques instants afin de profiter d'un moment de tendresse supplémentaire. Puis, mes mains s'emparent d'une rose de bain, d'un gel douche. Je commence à le savonner doucement, dans le dos, partant des épaules.

« Tu travailles dans un hôpital ici ? »

Mes mouvements ralentissent, sont plus distraits. Je ne m’attendais pas à ce qu’il me réponde ça. Et puis, évidemment, tout finit par s’expliquer. Encore une fois. C’est à cause de moi. Comme si j’avais fait exprès de débarquer dans son hôpital, dans l’état où j’étais. J’ai eu la chance de le trouver du premier coup, mais je me serais bien passé du passage à tabac à cause d’un abruti raciste et homophobe. Je ne réponds rien. A quoi bon. Je reprends mes gestes avec plus d’application, le laissant poursuivre. Il continue de suivre des cours. C’est une bonne chose. Il s’occupe, c’est déjà ça.

Un silence s’installe, je sens qu’Elio est plongé dans ses pensées. Il doit penser à ce qu’il a construit ici. Et moi qui vient encore tout bousculer. Parfois je me demande si le temps pourrait y changer quelque chose. Une année n’a pas été suffisante pour Elio, mais deux ? Trois ? Il pourrait peut-être vraiment m’oublier si je disparaissais pour de bon ? Mais moi, est-ce que j’arriverais à l’oublier ? Et puis la question tombe comme un couperet. Brutalement. Une affaire bien compliquée tant que ma mère n’aura pas été mise au courant. Mais, dans tous les cas, je ne pense pas que Lisbeth ait toujours envie de se marier avec moi.

« Ca ne se fera pas... »

J’ai un petit rire sans joie. Je repense à ces deux derniers mois, à la froideur de Lisbeth et en même temps sa curiosité. J’ai envie d’en parler à Elio, j’ai envie de l’informer de ce qui s’est passé lorsqu’il est parti comme un voleur ce matin-là.

« Tu sais...quand tu es parti de l’hôtel à Rome...j’ai trouvé ton mot. »

Je déglutis avec difficulté. Ma gorge se serre à nouveau lorsque je repense à la douleur que ce message m’a infligé.

« Juste après l’avoir lu, quelqu’un a frappé à la porte. J’ai cru que c’était toi qui revenait. Mais c’était Lisbeth. Tu penses bien que dans l’état où j’étais, j’ai dû tout lui raconter. »

Mon regard se perd dans les boucles d’Elio, puis redescend jusqu’à ma main arrêtée sur son épaule.

« Elle sait toute la vérité. Elle comprend mieux mon comportement. Elle m’en veut, beaucoup. Mais elle comprend. »

Je reprends mon souffle. Je ne sais pas comment poursuivre. Enfin, si, je le sais, mais ce n’est pas simple à dire.

« La prochaine étape, la plus difficile, sera d’expliquer tout ça à ma mère. »

Et ça, ça m’angoisse terriblement.