Il paraît que l'inventeur de la cédille est un certain Groçon.

Kaylee & Maddison

Pourquoi t'es là au juste ? Tu ne peux pas répondre à cette question car t'en sais rien du tout. Tes pas t'ont automatiquement menés ici sans même que tu puisses les arrêter. Maintenant, tu le regrettes. Maintenant, tu restes plantée là à fixer cette façade qui semble se foutre de ta gueule. Bah ouais Maddie, tu t'attendais à quoi en venant ici ? A retrouver tes souvenirs tels qu'ils étaient avant tout ce bordel ? Avant l'explosion ? T'es stupide, ma fille. Si t'avais un peu de jugeote, tu saurais que c'est impossible. Tes yeux balayent ce terrain à la fois familier et inconnu. Plus rien n'est comme avant. Plus rien sauf cet arbre qui trône en maître dans ce petit jardin. La maison, elle, a complètement changé. Elle est plus grande, mais surtout plus moche. Mais tu n'es pas objective, tu ne peux tout simplement pas l'être. Ton regard dévie sur la boîte aux lettres mais tu refuses de lire l'étiquette. Tu ne veux pas savoir qui habites là, cette vision t'arrachant déjà le cœur. L'ignorance est parfois plus simple à concevoir que la vérité.

Tu remarques un pigeon sur ta droite. Par réflexe, tu fais mine de lui donner un coup de pied. T'aimes pas les pigeons. C'est con les pigeons. Puis c'est bourrés de maladie les pigeons. Tu le sais car c'est Titi qui te l'a dis et Titi est un homme sage. Sale aussi. Cela vous fait au moins un point commun. Titi c'est le SDF qui t'a recueilli alors que tu traînais tes grolles dans cette ville. Fraîchement débarquée, tu ne savais pas où crécher. Il t'a aperçu et pris de pitié, il t'a fait une place dans son palais de fortune. C'est un ancien logement désaffecté rongé par la moisissure et puant la pisse, mais au moins, t'as un toit au-dessus de la tête. Dans ta situation, tu ne peux pas faire la difficile. C'est juste le temps que tu trouves un travail, promis !

Tu ne sais pas quoi faire à présent. Incapable de détacher tes yeux de la bâtisse, t'as l'air très con. Ouais, con comme un putain de pigeon. Et ça t'énerves plus que ça te rends triste. De rage, t'essuies ton nez d'un revers de manche. T'as froid, c'est l'hiver après tout. Même ton sweat oversize n'arrive pas à te réchauffer. Tu penses même que t'es à deux doigts de l'hypofroidémie ! T'es pas sûre que ce soit le terme exact mais tu t'en fous. T'essayes de te souvenir de ta baraque d'avant mais ton cerveau semble avoir immédiatement tout effacé, comme pour te protéger. Seuls quelques détails te reviennent en mémoire. Tu souris, amère. C'était pas une bonne idée d'être là, finalement. Mais t'y es, alors assumes tes choix. Tes cheveux bleus délavés se font maltraités par une bourrasque de vent soudaine. T'essayes d'y remettre un peu d'ordre tout en prenant conscience qu'on pouvait totalement te prendre pour une folle à faire le planton devant une habitation...  

C'est pas le tout d'avoir des bagages, encore faut-il savoir où les poser

Kaylee & Maddison

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la semaine aura été chargée. Usée par les heures de travail à rallonge des derniers jours, je rassemble mes ultimes volontés pour verrouiller ma voiture et hisser mes sacs de course plein à craquer à bout de bras. Après ça, je n’aurai plus qu’à me terrer chez moi pour le week-end. Peut-être que j’appellerai Aiden pour tromper l’ennui. Ou peut-être pas. Un léger soupir m’échappe. J’ai toujours peur d’en faire un peu trop. Le Gardien éveille en moi un intérêt phénoménal. Tout le mystère qui l’englobe, ainsi que le monde à part auquel il appartient, m’attire inexorablement. Ceci, ajouté à cette impression inébranlable de le connaître depuis des années, comme une prolongation même de mes propres rêves, font que je force régulièrement à lui foutre la paix. Je pince des lèvres, dépitée par mes propres réflexions. C’est alors que j’avise au dernier moment une silhouette figée au milieu du trottoir. Je freine juste à temps pour éviter de lui rentrer dedans, et de l’assommer avec mes quinze kilos de boîte de conserve et pâtée pour chien.

- Oh !

Mes muscles se crispent. Je tangue dans mes baskets. Mais le choc ne vient pas. Le pire a été évité. Je constate avec soulagement qu’il ne s’agit pas là de mon affreux voisin. La fille qui m’apparaît alors a plutôt l’air d’une adolescente on ne peut plus normale. Les cheveux colorés, le regard vide, et une mine à être blasée de l’univers tout entier.

- Je suis désolée.

Je tente un petit sourire quelque peu gêné, avant de me rendre compte que quelque chose cloche. Qu’est-ce qu’elle fait là ? Plantée ici ? Et surtout, devant chez moi ? Mes sourcils se froncent d’incompréhension. Je sens bien que j’ai loupé quelque chose. Le visage de la fille semble vaguement évoquer quelque chose au fond de ma mémoire.

- Tu es perdue ?

Je reste debout devant elle, scotchée là par la curiosité qui tressaille dans mon ventre. L’étrange intérêt qu’elle semble porter à ma maison m’alerte et m’interloque suffisamment pour que je me permette de l’interroger ouvertement. La gamine a peut-être juste loupé son bus, tenté de rentrer chez elle à pied, et se serait royalement paumé en passant par le quartier. Un truc qui pourrait parfaitement m’arriver. Ce n’est pas moi qui la blâmerais. Mais si tel est le cas, alors autant se serrer les coudes. Dans le cas contraire, alors sa fascination surprenante pour mon lieu de vie pourrait peut-être me donner une excuse parfaite pour appeler Aiden. A l’aide. Et puis d’un coup, les rouages de mon esprit font un lien totalement inespéré avec un souvenir du passé. Mes yeux s’illuminent.

- Oh je sais ! Tu ne serais pas la fille d’oncle Arnold ?

C’est évident à présent. Oncle Arnold, c’est ce membre éloigné et un peu obscur de ma famille. Celui que je n’ai pas vu depuis des années et qui sent le vieux et le renfermé. Il vit dans le nord de l’Irlande. Un endroit froid, humide, et définitivement très pluvieux. Ce qui explique parfaitement le teint blafard de l’adolescente.

- J’ai failli ne pas te reconnaître ! Mais enfin, qu’est-ce que tu fais là ?

Je parviens même à placer un poing intrigué sur ma hanche, et ce malgré les sacs de courses qui continuent de me scier littéralement les tendons de l’épaule. Ca pour une surprise, c’est une surprise.