Néo & Jack

This is Halloween

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Jck & Néo

C’est Halloween ce soir Néo. Je cligne des yeux. Ma bonne humeur s’essouffle comme quelques feuilles d’automne chassées par le vent, d’autant plus encouragée par l’éclat terni au fond des prunelles de Jack.

- Oh.

Je détourne la tête pour concentrer mon attention sur le verre de bière entre mes doigts. Halloween. Ce qui signifie que le mois d’octobre touche à sa fin dans le monde réel. Octobre ... J’ai loupé le printemps et l’été. A ce train-là, je ne verrai pas même pas l’hiver. Ça me presse le cœur plus que prévu. C’est stupide. Je savais déjà que huit mois s’étaient écoulés depuis l’aube de mon sommeil sans fin. A quoi je m’attendais ? A ce que le monde cesse de tourner en m’attendant ? Que le soleil ne brillerait pas et que les arbres ne jauniraient pas ?

- Et tu en as bien profité ?

Je relève le nez, offrant un sourire que j’essaye plus ou moins convaincant à mon Rêveur. Son regard ne m’a pas lâché. Je sais ce qu’il pense. Je le sais parfaitement bien, pour les diverses disputes que le sujet a suscité au cours de ces dernières semaines. Et heureusement, Jack ne semble pas être d’humeur suffisamment massacrante pour plonger dans un sujet aussi périlleux que celui de mon réveil. Il répond à ma question. Mes traits se tendent imperceptiblement à l’évocation de son petit-ami. Mais je ne tarde pas à éclater franchement de rire, tapant le plat de ma main contre la surface du comptoir pour marquer mon hilarité.

- Tu t’fous de ma gueule ? Des collants ?

Je cache mon rire derrière mon poing, même si la tentative de discrétion ne sert déjà plus à grande chose.

- Merde, je pourrais payer cher pour voir ça !

Je me tourne plus franchement vers Jack, laissant mon coude s’appuyer sur le bar. Un sourire mutin flotte sur mes lèvres alors que je lève les yeux au ciel.

- Et oui, je sais qui est Thor. Je n’ai pas non plus disparu depuis 2010.

Mes yeux le scrutent plus franchement. Peut-être que ça m’en coûte un peu de l’admettre, mais Tobias a plutôt bien choisi son déguisement. Malgré les collants. Le personnage colle parfaitement à la carrure de Jack.

- Du coup ... Vous avez mangé des bonbons en buvant du jus de pomme toute la soirée ?

Je le charrie avec un amusement mesquin. Ce n’est pas tant le thème de la soirée en lui-même qui attire mes moqueries, mais plutôt la perspective d’imaginer Jack en compagnie de Monsieur Parfait lors d’une fête organisée par la ville. Quelles sont les chances pour qu’il se soit emmerdé comme un rat mort ? Grandes. Très grandes. J’en mettrai ma main au feu.

Néo & Jack

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Jack & Néo

J’ai un sourire en coin tandis que Jack explique à quel point sa soirée était divinement chiante. Mes doigts jouent distraitement avec mon verre auquel je n’ai toujours pas touché. Je ne cherche pas à l’interrompre, ni même à me moquer ouvertement de lui. Savoir que Jack s’est ennuyé auprès de son médecin aux mille qualités est suffisant pour savourer ma petite victoire personnelle. Il ne s’entend pas avec ses amis et ... Wow, faut vraiment que j’aie l’air surpris peut-être ? Y’a qu’à jeter un coup d’œil à ce Rêve pour se rendre compte que, effectivement, y’a que très peu de chance pour que ça matche. Les potes de Jack se nourrissent de bière et de cigarettes. Ils rient fort, ils parlent gras. C’est le genre de types à se taper dans le dos plutôt qu’à se faire de grands discours. Non, vraiment ? Jack s’est senti à l’étroit en compagnie des toubibs du coin. Ces mecs sont aux antipodes de ce qu’on peut être, lui ou moi. Lui et moi. Il avait qu’à leur toucher deux mots de son passé, sans évoquer la prison. Juste la drogue. Les aiguilles. La mort liquide qu’il s’est injecté sous la peau. C’est contre leurs principes. Ils lui auraient fait un signe de croix avant de lui jeter de l’eau bénite au visage. Faut pas se mentir. Les camés, c’est un peu les hérétiques des médecins qui prônent une bonne hygiène de vie.

- Eh ben ... C’est juste que tu ne sais pas fêter Halloween avec les bonnes personnes.

Je fais une petite moue faussement navrée en secouant la tête, les yeux levés vers le ciel. Puis je me détourne totalement du bar pour faire face à la salle. Je me suis promis de faire attention avec ça, depuis le mauvais rêve de Jack. Mais si c’est juste pour cette fois ... Mes capacités s’éveillent délicatement aux quatre coins du Songe. Le décor disparaît comme une traînée de poudres chassée par le vent. La salle, les meubles, les potes de Jack et la serveuse disparaissent. Même le verre qu’il tenait entre ses mains se volatilise sous le jeu de ma volonté. Ma toile ainsi nettoyée, je ne tarde pas à peindre une autre œuvre. Bien plus originale. Bien plus en accord avec le thème de la nuit.

Une forêt sort de mes ténèbres. Un vert émeraude très foncé et particulièrement profond couve les larges troncs d’une aura féérique et presque irréelle. Lentement, délicatement, les unes après les autres, quelques citrouilles accrochées dans les hauteurs des branchages viennent s’allumer et révéler leurs présences. Leurs douces lueurs orangées éclairent juste assez pour permettre aux âmes égarées de déceler là où elles mettent les pieds. J’inspire longuement, presque satisfait de mon travail. Pour finir, un ciel totalement noir se déploie au-dessus des feuillages. Des étoiles plus brillantes que jamais se forment délicatement sur le voile de velours, accompagnant de loin l’éclat velouté des lampions. Maintenant, c'est parfait.

- Très bien, je déclare en me tournant vers Jack. Etape suivante : les déguisements.

J’attrape les pans de ma veste et tire dessus comme si je souhaitais la remettre en place sur mes épaules. Le tissu se métamorphose sous l'impulsion du mouvement. Le coton disparaît pour une matière plus lisse et structurée. Un noir sobre de circonstance remplace les anciennes couleurs de mon vêtement. Je lisse fermement du plat de la main les manches de ma veste de costume toute neuve. Je vérifie que tout est là ; le pantalon noir et les élégantes chaussures. Mes doigts ne résistent néanmoins pas à ouvrir les premiers boutons de ma chemise blanche, classique, pour un air beaucoup moins pète-cul.  

- Ah oui. J’ai failli oublier.

Je claque des doigts, et aussitôt, un haut de forme prend forme dans ma main. Ravi de ma petite mise en scène, je pose le chapeau sur ma tête et fais tournoyer dans ma prise une cane d’époque sortie, pour ainsi dire, de nulle part.

- Et la touche finale ...

Mes yeux se plongent dans ceux de Jack. Joueur jusqu’au bout, je fais passer la paume de ma main devant mon visage. Derrière le passage de mon bras, un maquillage de blanc et de noir apparaît comme par magie sur mes joues. Le sombre creuse mon faciès et cerne mes yeux, tandis que le pâle souligne l’aspect cadavérique que je souhaite afficher. Un squelette. Indémodable. Un sourire vient étirer mon aspect austère.

- C’est quand même plus effrayant qu’un super héros ...

La taquinerie était totalement gratuite. Mes pensées dérivent déjà sur ce que je vais faire du reste du Songe. La nuit débute à peine. Mais avant ça, il me reste un détail somme toute crucial à régler.

- Et toi ? je demande d’une voix basse. A quoi tu as envie de ressembler ?

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Les commentaires de mon Rêveur attirent mon sourire. Il a sincèrement l’air d’apprécier le spectacle, et ce serait mentir que de dire que je ne suis pas heureux de pouvoir lui en foutre plein la vue. On t’a déjà dit à quel point tu faisais ça bien ? C’est extraordinaire Néo... Je hausse les épaules d’un air faussement innocent, avant d’agiter ma canne d’un mouvement de poignet, comme pour anticiper ma prochaine connerie.

- On a déjà dû me dire ce genre de trucs, ouais ... Mais dans d’autres circonstances, si tu vois ce que je veux dire.

J’ai un sourire torve en lui lançant un regard étincelant. Puis je redeviens un peu plus sérieux, pour véritablement répondre à son interrogation.

- Les choses que je crée ne sont pas faites pour plaire d’habitude. En fait il n’y a que pour toi qu’elles sont aussi jolies, j’avoue en laissant mon regard planer un instant sur le décor qui nous entoure. Je suis content que ça te plaise.

Sa requête suivante pique mon intérêt. Je lui fais plus franchement face pour le jauger sans détour. Là, sous mes yeux, Jack se laisse totalement aller à mon influence. Une vieille voix au fond de moi ricane sournoisement et gronde qu’il ne sait pas à quel point cette dévotion pourrait lui coûter. Je décide de l’ignorer, elle et ses sous-entendus empreints de noirceur.

- Comme tu veux.

Je réfléchis un instant avant de lever le menton, décidé. Je plante le bout de ma canne dans le sol et lève mon bras libre pour claquer des doigts dans le vide. Toujours pour une question de mise en scène, une bourrasque de vent s’élève soudain de nulle part pour souffler Jack. A cet instant, ses vêtements citadins disparaissent pour laisser place à une tenue bien plus ancienne, et bien plus sexy.

- Je te propose Thor. Dans sa version originale. Sans les collants.

Une tenue de guerre nordique prend place sur son buste et le haut de ses jambes. Le cuir et l’acier s’y mêlent en un alliage assurant aussi bien protection qu’aisance physique. De solides bottes de combat remontent jusqu’à ses genoux. Une cape sur laquelle semble pétiller des ondes électrostatiques retombe dans son dos. Et enfin, un marteau de décoration sied à sa hanche, coincé dans son ceinturon. Mon Thor n’a rien d’un gentil garçon. La peau découverte de ses bras se présente gravée de multiples tatouages de guerre. Le sang séché d’anciens adversaires trépassés sous l’éclair de son courroux apparaît encore sur ses mains, ses vêtements, sa gorge et son visage. Une aura hostile et dangereuse émane de lui. Une aura dans laquelle je me plais à me plonger. Je souris de nouveau.

- Satisfait ?

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Jack s’inspecte sous mon regard scrutateur. Il m’arrache un rire alors qu’il prend une pose héroïque. Un bref instant, j’ai l’envie de faire gronder le ciel au-dessus de nous et de faire éclater quelques éclairs derrière son dos. Thor est bien le dieu de la foudre après tout, non ? Mais je me retiens sagement, préférant plutôt préserver l’ambiance doucereuse du Songe. C’est bien trop fragile, surtout avec une créature de mon espèce dans les parages. Mes yeux suivent ensuite le mouvement de ses doigts contre la peau de ses bras. Il redessine les tatouages avec envie. En sentant l’air vibrer doucement, je présume que ce désir fait réellement virevolter son cœur. Je suis content de lui offrir ce plaisir, aussi éphémère soit-il. Je sens ses yeux remonter à la recherche des miens alors que je me surprends moi aussi à vouloir laisser ma main suivre la trace de l’encre incrustée dans sa chair. Ça m’arrache de l’étrange fil de mes pensées. Je souris à sa question.

- Très satisfait.

Je soutiens son regard un léger moment qui me paraît lourd de non-dits, avant de rire de nouveau.

- J’ai hésité avec un ours. Ça aussi, c’est « tout toi ».

Sa question suivante attire mes réflexions. Mon attention le relâche pour mieux courir sur l’environnement qui nous englobe. Je réajuste distraitement la position du haut-de-forme sur mes cheveux et lâche une petite moue hésitante.

- Ça dépend. Que font les gens à Halloween de nos jours ? Pour commencer, je te propose d’aller par-là.

Je désigne une direction avec le pommeau de ma canne. D’un coup d’œil je m’assure de son assentiment avant de lancer mes pas entre les arbres.

- J’suis pas sûr que tu aies vraiment envie de te réveiller en sursaut dans ton lit ... Alors je ne te propose pas un cache-cache horrifique dans le noir, ni un labyrinthe à travers la forêt.

Mon sourire réapparaît sur mes lèvres en délivrant mes mots. A mesure que je parle et à mesure que nous avançons, le décor change subtilement dans l’ombre. Le parterre de feuilles se fait plus humide sous nos semelles, puis plus spongieux. Les arbres semblent s’enfoncer plus profondément dans un sol plus obscur que jamais.

- Je ne suis pas vraiment en mesure de te recréer un film d’horreur sur écran. Et, très sincèrement, picoler je ne sais quelle substance onirique ne me ferait pas le moindre effet, alors ...

Mes doigts viennent chercher son bras sans que je ne cesse d’avancer. Je le rapproche de mon sillage, le replaçant dans un chemin invisible plus étroit. De l’eau autour de nos pieds. Seul un petit sentier de terre demeure vaillamment au sec.

- ... je te propose juste de rester là et de faire ce qu’on fait d’habitude.

Un petit îlot se dessine devant nous au centre des eaux marécageuses. Les arbres aux racines immergées s’espacent suffisamment pour laisser voir la voute céleste. Les citrouilles accrochées dans les branches scintillent en de multiples reflets sur la surface de l’eau. Y’a comme un air de Nouvelle-Orléans qui traîne. Comme une ambiance mystique et envoûtante.

- Toi et moi on a déjà nos propres démons. Pas besoin de s’en rajouter.

J’ai un léger rire avant de lâcher son bras et de m’installer lestement dans l’herbe tendre.

- Ou je peux peut-être te tirer les cartes ! je lance en agitant mes doigts squelettiques d’un air joueur et mystérieux. L’atmosphère du Bayou m’inspire un personnage semblable au Baron Samedi. T’as de quoi payer, mon ami ?

Néo & Jack

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Jack & Néo

J’ai un rire narquois en écoutant Jack me dire que ça fait un bail qu’il ne m’a pas vu sous l’emprise de l’alcool. C’est vrai ça. Ça fait bien longtemps. Heureusement qu’il n’était pas là, la dernière fois que j’étais complètement bourré. Ça a fini contre l’écorce inébranlable d’un arbre. Avec des morceaux de bagnole éclatés aux alentours. Un vrai feu d’artifice. Mais pas sûr qu’il aurait aimé le spectacle.

- C’est sûrement parce que tu m’as plus vu complètement déchiré que bourré.

Je dodeline de la tête en l’entendant poursuivre. Un truc pour me faire ressentir quelque chose. Je pince des lèvres, hésitant un instant avant de choisir de me taire. Je n’ai jamais trop parlé de ça avec Jack, mais jusqu’à cette nuit où je suis tombé nez à nez avec lui, je ne ressentais plus grand-chose. Juste de la lassitude. Juste de la mélancolie. Un vide immense, béant, interminable. J’étais progressivement en train d’oublier tous les détails de ma vie passée. Et avec le temps, il en allait de même avec les émotions. C’était comme si, plus les jours passaient, et plus je me détachais de ce corps inanimé dans mon lit d’hôpital. Comme si, quelque part, j’oubliais ce que c’était que de ressentir des sentiments humains. L’arrivée de Jack a tout changé. Ces soirées à discuter avec lui, de notre passé commun, puis de nos vies séparées, a fait réapparaître les souvenirs. Les émotions sont revenues avec eux. Et ça a été plus fort encore lorsqu’on a eu l’idée complètement dingue de s’embrasser à pleine bouche, lui et moi, au cœur d’un Songe aussi noir que mon aura. Ça, c’était comme une explosion de couleurs. Comme si je reprenais vie. Ce souffle qui m’avait traversé n’avait rien eu de semblable comparé à tout ce que j’avais pu vivre ces huit derniers mois. Alors ... ouais. Y’a bien un truc qui me fait ressentir quelque chose. Et c’est juste lui. Tout bêtement. Mais je crois que je serais incapable de l’expliquer correctement.

Je me laisse tomber dans l’herbe. Jack ne tarde pas à entrer dans mon jeu. Un sourire amusé prend place sur mes lèvres alors que je lui jette un regard en coin.

- Ton corps ? Carrément ?

Je fais mine de faire la moue.

- Ton âme suffira.

Un léger rire m’échappe. Je me réinstalle plus confortablement en position assise et retire le haut-de-forme dont la présence me dérange. Un paquet de tarot apparaît entre mes doigts maquillés. Je m'amuse un instant avec, ravi de pouvoir jouer mon personnage jusqu’au bout, avant de les disposer toutes, une par une, entre moi et Jack.

- A toi de jouer, je murmure d’un ton mystérieux en plongeant un regard intense dans le sien.

J’attends patiemment que mon Rêveur pioche trois cartes au hasard, avant de les récupérer. Je prends mon temps pour les retourner et les rendre visibles. Le dessin soigné et énigmatique de la première représente un personnage charismatique, doté de deux grandes ailes sombres jaillissant dans son dos. De longues flammes brûlent derrière lui, sans qu’il ne semble être sensible à leur caresse mortelle. La deuxième met en scène trois individus centraux, surplombés d’un petit angelot muni d’un arc. Et enfin, la dernière montre un homme pendu par les pieds, les mains liées dans le dos. Le Diable. L’Amoureux. Et le Pendu. Je plisse les yeux, prenant soin de faire durer le suspense. Puis je me redresse et inspire longuement. Il est temps de lever le voile de la supercherie. Mon talent de divination ne va pas plus loin que le nom des cartes, inscrit en bas de chacune d’entre elles.

- Bon ... On dirait bien que Lucifer a une dent contre Tobias, désolé, j’en déduis avec une satisfaction non dissimulée, face à l’association des trois dessins disposés devant nous.

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Jack & Néo

A la question de Jack, je prends subitement conscience de la force de son regard porté sur moi. Je me redresse pour mieux lui faire face. Mon sourire disparaît doucement alors que je hausse un sourcil interrogateur.

- Pourquoi quoi ?  

Mes yeux trouvent les siens sans détour. Mon Rêveur peut essayer d’avoir aussi intimidant qu’il le veut, avec sa large carrure et son regard perçant. Ça a souvent de l’effet sur le commun des mortels après tout. Le truc, c’est que je suis coincé quelque part entre la vie et la mort. Faut croire que ça n’a pas vraiment d’impact sur moi, aussi peu que ça en avant déjà dix ans plus tôt, probablement à cause des effets de la méthamphétamine. Un sourire narquois revient prendre ses aises sur mes lèvres alors que je m’apprête à renchérir.

- Pourquoi Tobias est mal barré ?

Je plonge un peu plus dans le fond de ses prunelles. Je joue sciemment sur l’ambiguïté de ma question. Est-ce que je parle plus de mon interprétation maladroite des cartes et de mon association de l’Amoureux au mec de Jack ? Ou est-ce que je parle plus franchement de leur relation qui vibre, à mon sens, sur deux ondes totalement incompatibles ? Il comprendra ce qu’il voudra comprendre. Mes doigts attrapent les trois cartes. Je détourne le premier le regard pour porter mon attention sur les trois illustrations.

- Faudrait demander au principal intéressé, j’ajoute finalement en agitant le Diable devant moi. Mais ma communication avec l'au-delà est encore plus à chier que mon talent à tirer les cartes. Désolé !

Je hausse les épaules avec un sourire franchement amusé. Prend-il vraiment tout ça au sérieux ?

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Quelque chose évolue dans l’attitude de Jack, et j’ai alors la sensation d’avoir perdu l’étincelle qui brillait entre lui et moi. Est-ce en rapport avec ce changement infime mais bien présent qui se profile dans son inconscient, que j’ai senti en arrivant ici tout à l’heure ? Aucune foutue idée. En tout cas, la question qu’il me balance sous le nez a le don de me prendre de court. Le Rêveur rompt le contact visuel pour se laisser tomber dans l’herbe. Les volutes lentes d’une fumée de cigarette se dépeignent bientôt à travers mon décor, signe d’autant plus probant du changement d’humeur de Jack. Mon attention le quitte pour planer brièvement sur les lueurs orangées des citrouilles pendues dans les arbres. Qu’est-ce que je pense de lui et de son mec ? Je retiens de peu un sursaut de rire sarcastique et dénué de joie. Voilà bien longtemps que je n’avais pas entendu une question aussi insensée. Il renchérit, révélant au grand jour une vérité tacite qu’il a compris depuis bien longtemps. Je me tends imperceptiblement. Je me sens comme reclus contre un mur, et j’ai pertinemment conscience que ma première réaction face à ce genre de situation serait la pire chose à envisager. L’envoyer chier répondrait à sa question malgré moi, et ça me foutrait dans une merde bien trop délicate à rattraper. Je prends le temps de laisser quelques secondes filer après sa question, cherchant la meilleure échappatoire envisageable tout en ayant clairement l’impression de marcher sur des charbons ardents.

- C’est si important que ça, Jack ? je réponds finalement en reportant mes yeux à la rencontre des siens.

Ma voix n’a rien d’agressif malgré l’angle abrupt de ma question. Elle est, bien au contraire, guidée d’une sincérité plate et quelque peu désabusée. C’est vrai après tout, comment mon avis pourrait s’immiscer dans ses choix ? Jack s’envoie en l’air avec qui il veut. Je n’ai aucun avis à avoir là-dessus. Moi, je suis juste le gars qui s’invite dans ses rêves. Le gars qui déteste Tobias de loin, sans en avoir vraiment le droit. Sans en avoir la moindre légitimité. Mon regard le quitte. Je plante mes paumes dans l’herbe derrière moi et me penche en arrière pour mieux observer les étoiles à mon tour.

- Je ne peux pas vraiment te dire ce que j’en pense. J’suis pas dans votre ... couple. Je ne suis même pas vraiment dans ta vie tout court, alors bon. Et je suis encore moins spécialiste des relations amoureuses.

Mes paupières se ferment un léger instant alors que je serre les dents. Je sais très bien ce qu’il faudrait que je dise. Ça me trotte dans la tête mais ma langue refuse de libérer des mots de ce genre. Je suis heureux pour toi Jack. Tobias a l’air d’être un homme bien. Il est super attentionné et il prend soin de ton fils. Qui ne l’aimerait pas, vraiment ? Ouais, qui n’aimerait pas un type comme Toby, si ce n’est son parfait opposé. Bien sûr que je ne l’aime pas. Et bien sûr que Jack l’a cerné depuis un moment. Mais je refuse de l’admettre à voix haute, parce qu’il y a trop de risque pour que ça remette en cause ce qui nous lie. Moi non plus je ne suis pas le roi des cons. Lui balancer que son petit-ami m’horripile et qu’il n’a rien à faire avec lui serait comme me tirer une balle dans le pied.

- C’est juste pas le genre de gars que j’ai l’habitude de fréquenter, je soupire finalement, en choisissant de miser sur une honnêteté aux mots soigneusement soupesés. Et, tout ce que tu me racontes, les cadeaux, les petites attentions, les soirées romantiques, ça ne me parle pas. Ça me passe à travers. Peut-être que ça signifie beaucoup pour toi, que c’est important, enfin j’en sais rien. Mais ça n’évoque absolument rien en moi et ... du coup peut-être que j’ai du mal à comprendre la réalité de ce que vous formez, toi et Tobias. J’veux dire, tu as énormément évolué en dix ans, alors que moi j’en suis toujours resté au même stade. J’ai juste du mal à voir ce qui a fait que tu te sois retrouvé avec quelqu’un comme lui. Parce qu’à l’époque où je t’ai connu, je t’aurais difficilement imaginé avec lui.

Je déglutis. J’ai l’impression de m’emmêler dans mes propres mots. Mon attention quitte le ciel pour se porter sur lui de nouveau.

- Mais on s’en fou de mon avis. Si tu te sens à ta place avec lui, alors c’est tout ce qui compte.

Les mots s’évanouissent dans mes murmures. Voilà. C’est fait. Ces foutues paroles ont enfin quitté mes lèvres, même si ça m’écorche franchement la bouche. Etre sympa, c’est pas vraiment mon talent le plus inné.

Néo & Jack

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Je détourne les yeux face à sa contradiction lorsqu’il reprend enfin la parole. Je suis dans sa tête, ça oui. Mais dans sa vie, non. Pas dans le sens physique du terme. Pas d’une manière qui me permettrait d’avoir un œil extérieur sur sa relation avec son mec. La seule vision que j’ai de leur couple, c’est celle qu’en a Jack. Et pour une fois, je suis heureux d’être coincé ici pour ne pas avoir à me pencher plus que ça sur cette question, ni à les voir se bécoter juste sous mon nez. Je ne suis même pas curieux de voir ça de mes propres yeux, pour constater à quel point tout ça est totalement vaseux. Mais je ne cherche pas à le corriger dans ses propos. Pas plus que je ne souhaite l’encourager à poursuivre cette conversation qui prend un angle bien moins léger que ne l’était le début de cette soirée. Jack poursuit néanmoins. Mon Rêveur semble avoir à cœur de se débarrasser des mots qui s’entassent contre ses lèvres. Et soudain je me raidis de haut en bas. Mon souffle se stoppe dans ma poitrine. Ses mots tourbillonnent dans les airs, lourds de sens, tellement ambiguës. Je pourrais presque les imaginer virevolter autour de nous comme quelques feuilles mortes bousculées par le vent. Ses paroles trouvent leur chemin dans mon esprit. Je me redresse, ramenant mes mains devant moi pour mieux me concentrer sur Jack. Mes yeux s’arriment à lui. Je l’observe un instant, scrute son geste résigné sur son visage. Mes sourcils frémissent, incertains quant à la position à adopter. Au fond de moi, pourtant, je sais déjà ce que je vais faire. Quelque chose de mal. Quelque chose que ma conscience s’apprête déjà à accepter, sans le moindre remord.

- Tu veux que je m’en aille ?

Mon timbre est plat, neutre. Un brin rocailleux. Je sens mon sang battre à intervalle régulier contre mes tempes. Je sens mon cœur frapper d’un rythme calme, lourd, et serein contre mon torse. Je sens également le Rêve frémir à ma question. Je le sens, je m’en imprègne, un peu plus à mesure que mon regard sur Jack se prononce. L’atmosphère réagit inconsciemment à l’idée que je disparaisse.

- Tu veux que j’arrête ? je poursuis dans un murmure rauque. Pour que tu ne penses plus à ... moi.

Bien sûr que non, il n’en a pas la moindre envie. Le Songe répond pour lui. Le Songe parle et s’exprime dans un langage invisible. Et je le laisse faire, je le laisse se manifester à sa manière, subtilement, et reprendre doucement le contrôle sur mes capacités oniriques. Mon corps se meut alors comme une ombre. Je me glisse jusqu’à lui. Mon torse se fond contre le sien tandis que je m’appuie sur un coude pour mieux le surplomber. Ma main libre emprisonne sa mâchoire.

- Tu veux que j’arrête ? je répète encore plus bas, frôlant ses lèvres du bout des miennes. Ou tu préfères que je continue ...

Ma question meurt au plus près de sa bouche. A nouveau cette chaleur si précieuse et si particulière que j’avais ressenti la dernière fois s’allume au fond de mon ventre, grisée par la sensation de mon souffle se mêlant intimement au sien. Mes paupières se ferment à demi sur mes yeux. Un frisson remonte délicieusement le long de mon échine, éveillant mon être comme après un long, très long, repos. Mais je me refuse à aller plus loin. Je me refuse à briser cette dernière distance, infime, ridicule. Minuscule. Pas tant qu’il ne m’aura pas dit ce qu’il veut.

Néo & Jack

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Jack & Néo

Sa bouche répond sans le moindre mot à ma question. Seulement par une force brute et indiscutable. Ses lèvres se scellent aux miennes, muent d’une volonté aussi sourde que brûlante. L’air quitte mes poumons, pour mieux laisser place au vent ardent qui s’élève immédiatement dans mon ventre. La main de Jack se faufile contre ma nuque, et je me laisse aller à toutes les émotions inédites qui me soufflent de l’intérieur. Mon palpitant tressaute contre mon torse. Le sang pulse sous ma peau. Une chaleur brusque, ardente, et dévorante, se répand dans ma chair. Toutes ces émotions-là que j’avais oublié ... Les étoiles scintillent soudain avec plus d’intensité. Mais ni lui ni moi ne sommes en mesure de les apercevoir. Je roule sur le côté. Je me retrouve le dos dans l’herbe. Sentir le poids du corps de mon Rêveur au plus près de moi aiguise plus encore le phénomène qui se réveille au plus profond de mon être. Son épiderme est bouillant contre moi, en parfait opposé avec l’humidité fraiche du sol sous mes épaules. Et c’est la chaleur de Jack qui l’emporte, au même titre que sa langue qui vient persécuter la mienne d’une ferveur étourdissante. Un désir rude grandit dans mon bas-ventre, alimenté par le souffle renversant de la tempête qui œuvre dans mon buste. Je frémis. Même si je le voulais, je ne pourrais plus mettre fin à ça, à cause de cette sensation si précieuse qui s’était échappée de mes souvenirs. Jack me relâche, me laissant à bout de souffle, le cœur agité d’une avidité liée à toutes ces émotions qu’il me procure. Ses mots meurent sur mes lèvres. Mes paupières se rouvrent, me laissant plonger au cœur de l’émeraude brumeux de ses yeux. Mes doigts s’invitent alors à leur tour sur son visage, avant de glisser contre sa nuque.

- A tes risques et périls ... je susurre à mon tour.

Je pousse contre son torse pour inverser les rôles une nouvelle fois. Le Rêveur retrouve la caresse rafraîchissante de l’herbe sauvage, tandis que je me confronte à l’air de plus en plus chaud autour de nous. Ma bouche nargue la sienne le temps d’une fraction de seconde. Elle la délaisse pour mieux fondre le long de sa mâchoire. J’embrasse ce qui se trouve sur mon chemin jusqu’à ce que je rejoigne la peau dégagée de son cou. Mes dents viennent doucement mordre le lobe de son oreille. Ce faisant, mon bassin part instinctivement à la rencontre du sien. Je me presse avec fièvre contre lui. Je l’attise. Je l’appelle. Parce que je sais que lui non plus n’est plus capable de résister. Qu’il n’est plus capable de me résister. Jack m’a vendu son âme. Il est trop tard pour reculer.

Néo & Jack

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Jack & Néo

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